10. Gerald

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Grosse annonce à la fin du chapitre

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"All women become like their mothers. That is their tragedy. No man does,and that is his."

L'importance d'être Constant – Oscar Wilde

(Toutes les femmes finissent par ressembler à leur mère : voilà leur drame. Mais cela n'arrive jamais aux hommes : voilà le leur. 




Novembre 2000, Florence.

— Pas de bourré. Pas. De. Bourré, répète Grace en décomposant le mouvement.

Je ris à chaque fois qu'Helena tombe en essayant de l'imiter, ce qui me vaut un regard noir de la part de sa grande sœur. Reliant le geste à la parole, Helena énonce doucement chaque syllabe comme le fait Grace. Elle tangue quand son pied se retrouve derrière l'autre, retrouve son équilibre et réussit à renvoyer son pied droit à l'avant sans faillir. Tout sourire, elle répète sans cesse le mouvement nouvellement acquis pendant que sa sœur et moi la félicitons.

— Essaie de la faire de l'autre côté Lenny, la nargué-je.

Elle fait la moue. Grace et moi échangeons un regard. Comme je comprends cette petite, j'ai aussi eu le droit aux cours de sa sœur et bien que celle-ci soit plus patiente avec elle qu'avec moi, elle peut être redoutable quand il s'agit de la danse.

— Ne m'appelle pas comme ça ! S'agace-t-elle.

Elle a tapé si fort le parquet avec son pied que ses petites couettes brunes sautillent dans l'air.

— D'accord Léana !

Gee me somme d'arrêter d'embêter sa sœur pour qu'elle puisse se concentrer sur ce qui importe : la danse. Ce qui ne fonctionne pas, la mini Gee bombe son tout petit torse coincé dans un débardeur gris et croise les bras.

— Mon prénom est Helena, déclare-t-elle.

Avec le regard bleu de sa mère et le caractère de sa sœur, cette petite DeBardi va devenir un véritable bourreau des cœurs. Je me lève pour rejoindre Gee qui lui demande de faire abstraction de moi. En passant devant la petite, je la décoiffe pour l'énerver un peu plus.

— Hé ! Râle-t-elle de sa petite voix aiguë. Moi je danse mieux que toi, nanannère !

J'embrasse la grande avant de me retourner vers la petite peste.

— Ah bon ? M'intéresse-je.

Je sens Gee sourire derrière nous alors j'en profite pour la prendre à parti.

— Dis-lui que je danse mieux qu'elle , couiné-je.

— Gerald, on ne désigne pas les gens du doigt, c'est malpoli.

Elle frappe ma main, excédée de devoir « gérer deux enfants ». Je présente mes excuses aux deux princesses avec une courbette à la plus petite. Pour sortir de la salle de danse, je me déplace en pas de bourrés, ce qui fait rire l'une et renfrogne l'autre.

Alors que je monte les escaliers qui donnent sur l'entrée, mes yeux se concentrent sur le portrait magistral d'Alice qui trône en véritable comtesse dans son bureau. Ses cheveux blonds sont élégamment remontés, lui laissant un port de tête long et élancé. Elle porte une robe renaissance bleue et une parure de diamants qui se reflètent sur sa peau. Derrière le fauteuil, le comte Antonio – son mari – porte un complet militaire aux couleurs de l'Italie. Malgré les années, Alice a très peu changé, les rides t les cheveux blancs ont remplacé sa peau bronzée et ses mèches blondes, mais à part ça, ses yeux ont la même brillance presque cinquante ans plus tard. Mon regard descend. Un diamant blanc entouré d'une liane d'or blanc et de trois plus petites pierres bleues – un diamant bleu, un saphir et un lapis-lazuli, m'a t'on dit – habille son annulaire gauche. Je triture la bague qu'Alice m'a offerte hier, le peintre n'a pas su peindre à la perfection la beauté du bijou. Chacune de ces pierres m'évoquent les yeux de ma bien-aimée : ils ont la couleur du diamant bleu quand le soleil se piège en eux, celle du lapis-lazuli quand elle porte son masque et les reflets du saphir quand elle m'autorise à voir ses émotions. Chacune de ces quatre pierres semble vouloir s'affranchir du liseré d'or qui la retient. Si j'avais dû confectionner un bijou pour elle, je n'aurais pas fait mieux qu'Antonio il y a un demi-siècle de là.

Because of us ( TERMINÉE )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant