23.Grace

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« Je t'invite à danser sur la piste, tout se bouscule dans ma tête mais j'prends le risque. »

Tsew the kid – Quand on danse




Janvier 2000, New-York.

Dans la danse classique, rares sont ceux qui ne savent pas mentir. Il faut faire semblant, tout le temps. Donner l'impression que chaque mouvement est inné, faire comme si nos chaussons n'étaient pas couverts de sang. Les premières fois où j'ai eu mon grand-écart, ma professeure de danse me frappait car je ne souriais pas à sa convenance. Chaque mouvement, chaque expression, doit être maîtrisé, au plus proche de la perfection. Rien n'est laissé au hasard et peu importe si le public est trop loin pour voir le bouts de nos doigts ou les rides de notre visage, il n'y a ni de place pour l'erreur, ni pour la douleur.

Autrement, nous ne serions pas des artistes. Tout le monde peut faire une pirouette avec de l'entraînement et de la rigueur. Seuls les danseurs savent donner un air simple à des pas compliqués. En tant que femmes, cette tâche est presque innée. On apprend aux petites filles à sourire, à ne pas se plaindre, à faire au mieux.

— Lucy, plus haut la jambe !

Certaines réussissent à l'appliquer à la danse...

— Margot, contrôle moi cette pirouette.

... et pour d'autres, c'est plus compliqué.

— Mattéo, tes talons !

Et c'est pour cette raison qu'il y a des figurants...

— Vous deux derrière, allez en jardin.

... et des têtes d'affiche.

— Grace, très bien.

Au conservatoire de danse, la perfection n'existe pas. Ce mot est à bannir de notre vocabulaire. Les contemporains veulent s'en éloigner un maximum, les modern jazz cherchent la balance entre les deux et les classiques cherchent à l'atteindre sans jamais y arriver. Si un professeur vous dit que vous dansez bien, estimez-vous heureux, c'est rare. Les danseurs sont fiers, ils gardent la tête haute et les compliments dans le fond de leur gorge.

J'enchaîne les pirouettes sur mon solo devant les autres qui rêvent d'être à ma place. Un mouvement naturel emmène ma jambe derrière mon oreille, mon partenaire me rejoint et me fait tourner. Il me porte, me déplace. Je le laisse me guider quand il le faut et je le guide parfois.

Madame Tremaine, la directrice du département de danse, choisit ce moment pour entrer. Les bras du danseur faiblissent, quand Mademoiselle Tremaine vient pendant un classe, c'est souvent mauvais présage. Je passe outre. Mes mouvements sont plus important pour le moment. Elle glisse des mots discrets au directeur artistique de la pièce dont le visage se décompose. Je me concentre sur les traits de son visage qui s'affaisse pour ne pas tomber lors de mes pirouettes.

— Grace, on arrête là. Lydia, tu la remplaces et Margot tu prends le rôle de Lydia pour le moment.

La déclaration de notre professeure, qui a tout entendu de la conversation entre mon directeur artistique et la directrice est cinglante. Des remous naissent dans le groupe de danseurs qui se sont agglutinés sur le sol pour regarder ma partie. Certains me regardent parce que mon pied n'a pas atterri au bon endroit. Je n'ai pas pris le bon appui en arrêtant mes pirouettes. Une erreur basique qui fait rire des filles au premier rang. Lydia s'est levée pour prendre ma place alors que je ne sais pas quoi faire.

— Grace, dans mon bureau.

Avex la voix sévère de Mlle Tremaine, les élèves se sont un peu calmés. Les remarques ne fusent pas encore mais les regards oui. Certaines jubilent, s'imaginant ma déchéance. D'autres cherchent les ragots.

Because of us ( TERMINÉE )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant