19. Grace

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« And the tears come streaming down your face when you lose something you can't replace.

When you love someone, but it goes to waste could it be worse? »

Coldplay – Fix You

(Et les larmes roulent sur tes joues quand tu perds quelqu'un d'irremplaçable.

Quand tu aimes quelqu'un, mais que tout est gâché, pourrait-ce être pire?)


Décembre 2000, Florence.

Le groupe a progressé d'un seul mouvement vers la fosse. Les hommes de la famille on porté le cercueil jusqu'à l'orée de la forêt. C'est là qu'on a décidé de l'enterrer, sur son domaine, à côté de grand-père. Le prêtre a récité une dernière prière. Le monde s'est plongé dans le silence pendant que nous avons fait semblant de penser à elle. À nos moments passés ensemble, au reste du chemin qu'il nous reste à faire.

Nev me tient la main. Elle n'a connue Alice qu'à travers moi. Je la plains de n'avoir aucun souvenir avec elle. Elle s'est retirée avec Gerald qui a tenu sa promesse de rester loin de moi. Les fleurs ont été jetées depuis longtemps. Il ne reste plus que mon père et moi. Les fossoyeurs aussi sont partis. Le jardinier arrive pour le parterre de fleur, au milieu de celui-ci jaillira un hêtre.

— Elle disait que partout où il y a un arbre, il y a une sorcière qui y a laissé son sang.

— Tu as toujours cru tout ce qu'elle te disait. Elle était fière de toi.

Je remercie mon père du regard. Il n'a pas dit mot depuis ce matin. Maintenant qu'il lui a dit au revoir, il est prêt à parler. Je tends mon bras.

— Tu veux marcher avec moi dans la forêt ?

Il le saisit. Nous en avons besoin tous les deux. Nous avançons là où la neige a été déblayée. Je n'y suis pas retournée depuis des années. Autant de temps que je n'ai pas parlé avec mon père. La neige craque sous nos pieds là où le gel a rendu le sol impénétrable.

— Lequel de vous deux a brisé le cœur de l'autre en premier ?

— Papà...

— Grazie, ta grand-mère est morte. Parler d'elle maintenant ou plus tard ne la ramènera pas. Mais toi, tu es là, et c'est mon devoir de père de savoir comment tu vas, avant qu'il ne soit trop tard.

— Je vais bien papà. Pour l'instant.

Je pose ma main gantée sur son bras, pour qu'il ne glisse pas. Ils se font vieux. Pas tant que ça, mais assez pour que leurs rides me préoccupent. J'ai beau détester ma famille, je ne veux pas qu'ils partent.

— Ta mère s'inquiète.

Je détourne les yeux vers un faisan qui s'est perché à une branche dénuée de feuilles. Il cherche l'humanité qu'il manque à mon âme, je ne peux pas le laisser voir mon manque.

— Tu sais. Ta grand-mère adorait les films policiers. Quand tes oncles et moi étions petits, ton grand-père faisait privatiser une salle de cinéma à chaque sortie de film. 'Il faut se méfier de ceux qui sourient le plus' disait-elle ' ils prennent sur eux, font mine que tout va bien, ne disent pas un mot de travers. Et un jour... ils explosent'. Elle trouvait le tueur avant tout le monde.

Le faisan s'envole en fracas. Je pense qu'il a compris. Alice a vu juste, à un détail près : dans les films, on se doute de tout le monde, dans sa famille, de personne.

— Elle les appelait les cocottes minutes. Certains explosent pour se faire du mal et les autres pour en faire aux autres. Peu importe, en finalité, ils n'épargnent personne.

— Je ne suis pas une cocotte minute.

— Grazie, tu as la force d'un femme mais tu as aussi le droit d'avoir la faiblesse d'être humaine.

Je m'éloigne de lui.

— Je vais bien.

Il penche la pitié.

— Je ne t'ai pas vu pleurer depuis des années.

Les gants empêchent mes ongles de s'enfoncer dans ma chair.

— Tant mieux, souris-je. Ça veut dire que je n'ai pas de raisons de le faire.

Il s'approche de moi. Mes mains. Je tremble. Il les a vues.

Je n'ai pas besoin de sa compassion. C'est lui qui a perdu sa mère.

— Il fait froid. On devrait rentrer.

Il se ravise de répliquer.

— Ça fait quoi d'être comte à présent ?

Sa voix se brise.

— Ça fait mal.

À notre retour, je suis montée dans la chambre de Gerald. J'entre en trombes dans sa chambre, il est assis au milieu de papiers étalés sur son lit.

— Je veux que tu rentres.

---- On doit parler.

— Pas maintenant.

Je sors la valise du dressing.

— Tu as pu faire ton deuil ? C'est bon ? Je ne te veux plus chez moi.

— Gee.

— Ne m'appelle pas comme ça !

Mes mains tremblent de plus en plus, il voit que je n'arrive pas à ouvrir la fermeture. Je m'éloigne de lui alors qu'il s'approche pour m'aider.

— Graziella, alors.

Je me hérisse d'amertume.

— Encore moins.

Je récupère le costume posé sur la chaise. Il rejoint le lit, avec ses chaussures et le reste des habits.

— Ma chérie.

Mon corps marque un arrêt. Il sait que je l'aime encore, il joue avec. Il pense que je l'ai quitté pour mon propre plaisir de le voir souffrir, alors que j'ai fait ça pour être capable de me pardonner. Nancy mérite d'aimer et d'être aimer. Il apprendra. Pour l'instant, il me blesse, parce qu'il n'a pas encore compris que nous avons causé trop de mal pour avoir le droit au bonheur.

Il est près, trop près de moi.

---- Tu as perdu le droit de m'appeler comme ça quand tu as couché avec elle.

Il se tire les cheveux.

— C'est pas vrai ! Tu recommences avec ça ? Je n'ai pas couché avec elle.

— Arrête de me prendre pour une conne ! Vocifère-je.

Je les ai vus, à la soirée de notre dispute. Je suis retournée me coucher dans notre chambre, c'est là que j'ai trouvé Gerald torse nu et les habits de Nancy sur le sol. Il a le droit de coucher avec elle, c'est sa fiancée. Ce ne serait pas un problème si elle ne m'avait pas confié que c'était pas la première fois. Il a en plus l'audace de nier.

— Je ne serai pas la méchante dans ta petite histoire.

— Tu l'es déjà.

Son corps dit tout l'inverse. Il observe mes lèvres. J'en fait de même. Sa chaleur m'irradie au point que je pense que notre haine va nous immoler. Quand on s'aime trop, on finit par se détester.

— Un problème ?

Nev vient rompre notre égarement. Consciente de sa brûlure je m'éloigne à l'autre bout de la pièce.

— Dégage, lâché-je avant de partir.

Je claque la porte, il donne un coup de pied dans le lit.

Because of us ( TERMINÉE )Where stories live. Discover now