44. Gerald

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"Does one deserve to have evil done to her by consequence of putting herself where evil can reach her?"

Brandon Sanderson,

(Mérite-t-on qu'on nous fasse du mal, si l'on se place là où le mal peut nous atteindre ?)


Septembre 2001, New-York.

J'aurais dû rentrer à Boston dimanche, mais je n'ai pas quitté mon lit depuis. Personne n'est au courant, ils pensent tous que je continue ma vie telle qu'elle l'était l'année dernière. Mon frère ne se doute pas que je ne vois plus Grace depuis deux mois parce que son fiancé me l'a interdit. Grace doit penser que je suis enfin heureux avec Nancy. Alors que Nancy ne me voit qu'une fois par semaine, lors des repas de famille imposés par sa mère.

Je ne dors même pas chez moi, pour éviter que mon frère ne me surprenne, j'ai déménagé dans un hôtel dans le Bronx. Dans un endroit où personne ne se soucie de mon nom de famille, ou des chiffres sur mon compte en banque. Le matelas n'est pas franchement confortables mais au moins, le room-service ne me dérange pas tous les matins pour m'apporter le petit-déjeuner. Je ne crois pas qu'il y ait de room-service, en tout cas personne n'est venu laver ma chambre en deux jours.

C'est le silence, le silence complet. Il n'y a que moi et moi-même, bloqué avec mes souvenirs. Mon père me harcèle pour des soucis avec sa fondation, ma mère m'appelle tous les jours mais je ne réponds pas, et Chris n'a jamais été aussi heureux. Bref tout va bien dans le meilleur des mondes.

Je vais mal.

Je ne l'ai pas revue depuis Juillet. Pourtant, elle fait la Une de quelques magazines, il y a des rumeurs qu'elle intégrerait l'Opéra Garnier dès janvier, d'autres qui la pressentent pour jouer le rôle principal d'un futur blockbuster. Sa carrière décolle, elle va se marier et elle m'a oublié.

J'ai volé quelques montres à des poignets négligents. Ça n'a rien compensé. Nos jeux nocturnes m'apportaient la dopamine qui manque à mon système nerveux actuellement. Mon cœur n'accélère plus quand je mens, ni quand je subtilise un portable, juste pour le jeux. Mes yeux ne sont plus à l'affût, avant une mission, et mon souffle ne se coupe plus parce qu'il n'y a plus personne à toucher, ni à regarder.

Grace n'est plus là. Et je ne suis plus avec Grace.

Bip. Bip. Bip.

Je tends la main en direction de mon blackberry, prêt à raccrocher à l'appel de ma mère. Mais c'est un numéro inconnu qui s'affiche. J'hésite. Mon cœur me dit que c'est important. Les frissons me reviennent et c'est comme si...

Je raccroche.

Le frisson n'en vaut pas la peine. Il est sept heures du matin, c'est trop tôt pour les sensations. Je préfère le vide, la paresse, la mort. Tout ce que vous voulez, tant qu'il n'y a pas le frisson.

Bip.

Je décroche à la première sonnerie. J'espérais que ce ne soit pas une erreur et que qui qu'il soit, il me rappellerait. Parce que j'ai beau ne pas en vouloir, j'ai besoin de ça. Du grand saut.

— Allô ?

— Grace va tuer votre père.

Je suis déjà redressé. Qui est cet homme et comment le sait-il ?

— Pardon ? Qui est à l'appareil ?

— Qui je suis importe peu. Vous devez l'en empêcher.

— De tuer mon père ? Ris-je. Certainement pas.

J'ai déjà enfilé mes habits et m'extirpe de la chambre pour atteindre la lumière du jour. Mes yeux n'ont pas le temps de s'adapter au soleil aveuglant que je suis déjà sur le parking, dans ma voiture.

— Elle est dans le collimateur du FBI, autrement dit...

— Elle va finir en taule.

— Dois-je en conclure que vous êtes déjà dans la voiture ?

— Non, mens-je. Je connais Grace, si elle a décidé de le tuer, comme vous le prétendez, elle ne partira pas sans avoir réussi.

L'homme confirme. Je comprends mieux, il veut que je fasse le sale boulot. Et pour elle je le ferais, mais pour lui ? Certainement pas.

— Attendez, je vous connais pas, qui me dit que ce n'est pas un piège ? Et puis... c'est complètement débile, vous me demandez d'aller en prison à sa place, pourquoi est-ce que je ferais ça ?

Les voitures me klaxonnent quand je grille un feu en direction de Manhattan. Je m'en soucie peu, il faut que je sache pourquoi je me précipite vers mon déclin à une vitesse déconcertante. L'homme soupire dans le haut-parleur du téléphone, collé à mon oreille.

— Vous devez connaître Mademoiselle Miller ?

— Nevada ?

— Elle a été enlevée par l'organisation de votre père, l'été quatre-vingt-dix-huit.

J'allais le contredire mais... je n'en sais rien. Ça ne me surprendrait pas, et avec ma mère, nous avions passé les vacances sur la Riviera, en France. Mais...

— Quel rapport avec Grace ?

— Elle s'en est rendue compte, elle avait déjà découvert certaines informations avant ça. Votre père en a profité, il a offert la liberté de Nevada en échange de celle de Grace.

Je freine en urgence, un enfant avec sa mère traversent la route sans faire attention aux idiots qui comme moi conduisent trop vite.

Le tatouage.

— Leila Bensaid.

— Bravo, vous avez été plus fort que moi.

Grace m'a toujours dit que la couronne dans son dos était un tatouage de meilleures amies entre elle et Nev. Cette dernière l'a sur la nuque, comme Leila, une couronne noire. Je me disais bien que je l'avais déjà vu quelque part.

Mon pied s'enfonce sur l'accélérateur. Mon connard de père a fait du mal à Nev et à Grace. Pas étonnant qu'elle ait envie de le tuer. Si elle ne l'a pas fait quand j'arrive, je l'égorge moi-même.

— Le tatouage de Grace est blanc, fais-je remarquer.

— C'est parce qu'elle n'est pas comme les autres. C'est compliqué à expliquer comme ça, mais votre père l'a forcée à être le bourreau des filles qu'il tenait en otage. D'ailleurs, il y a de fortes chances que les lacérations sur le dos de Leila soit en partie causées par Grace.

Mon sang tombe dans mes chevilles. Je ralentis, peu sûr de pouvoir contrôler le volant dans cet état.

— Comment ça ? Vous voulez dire qu'elle est... avec lui ?

— Non, s'empresse-t-il de corriger. Votre père savait qu'il ne pouvait rien lui faire à cause de sa famille, alors il l'a rendue coupable des mêmes crimes que lui, en échange de quoi, il a libéré Nevada.

Si tu ne peux pas éliminer les témoins, rends les complices. Un jour, elle m'a confié qu'elle m'avait autorisé à l'accompagner dans sa quête de vengeance, seulement parce qu'elle ne voulait pas m'éliminer. Elle avait sorti un adage comme celui-ci.

Les leçons qu'elle m'a apprises sont en fait celles qu'elle a tirées de mon père.

Tout ce qu'elle faisait, ce n'était pas pour défendre les filles incapables de se protéger elles-mêmes. Toute cette vengeance, n'a rien à voir avec le bien commun. Elle a fait ça pour se faire pardonner du mal qu'on l'a obliger à causer. Mon père a fait ça parce qu'il savait qu'elle survivrait en étant la victime mais pas le bourreau. Il savait qu'elle serait prête à se brûler les ailes, pour l'envoyer en enfer. Mon père est obsédé par sa nouvelle expérience. Je suis sûr qu'il a un chronomètre dans sa poche, estimant combien de temps elle résisterait.

Et cet homme au téléphone, comment se fait-ce qu'il en sache plus que moi au sujet des deux personnes qui ont rythmé mes nuits pendant des années.

— Qui êtes-vous ?

— On se reverra.

Because of us ( TERMINÉE )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant