36. (Grace)

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« When the gods want to punish us, they answer our prayers. »

Oscar Wilde, An Ideal Husband (Un Mari Idéal).

(Quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières.)

36. Grace

Mai 2001, Los Angeles.

L'enfant en moi se serait réjouie des paparazzi qui se rue sur la voiture. Elle aurait ouvert la fenêtre pour les saluer. Mais enfermée dans cette berline noire, alors que le chauffeur tente d'avancer sans écraser les parasites de la presse, elle aurait fini par déchanter.

Les vitres teintées n'ont aucun effet contre les flash qui nous aveuglent depuis notre sortie de la villa. Noah et moi cachons nos visages qu'ils veulent tant.

— Je suis surpris que tu n'aimes pas ça. Moi, au début, j'aimais bien ça.

La voiture prend de la vitesse mais je n'enlève ma main que lorsqu'il le fait.

— Ce n'est pas fait pour moi.

Contrairement à la Graziella de douze ans, je ne rêve pas de strass et de paillettes. Le rêve a laissé place à la lucidité, la célébrité est un idéal que je connais déjà. Mes parents sont dans les magazines people à longueur de temps en Italie, quand je vais dans les Hamptons ou en Ohio tout le monde me connait, même à New York il m'arrive d'être arrêtée dans la rue. La célébrité a un goût de déjà-vu. La fadeur de ma zone de confort me pousse à détester la privation de ma liberté.

En tant que Miss Swift – la femme qui a tué Ayckbourn, je me mettais volontiers sous les projecteurs, j'appréciais les regards intéréssées. Alors oui, la lumière est faite pour moi, mais je ne la fuis pas quand je suis quelqu'un d'autre. En tant que Grace DeBardi, je perds le pouvoir sur ce que les gens voient de moi, alors je maintien l'illusion comme au Lycée ou à Julliard mais aujourd'hui, mon masque se craquelle.

—- j'aime bien contrôler ce qu'on voit de moi, expliqué-je.

— Je suis pareil. C'est mon côté acteur.

Comme il ne parle plus, je regarde Los Angeles défiler à toute allure par la fenêtre. Sur la côte est, il fait rarement aussi chaud, surtout au mois de mai. Alors qu'ici les palmiers semblent être la seule verdure capable d'y pousser. Je déteste ces arbres. Selon les histoires de ma grand-mère, les arbres poussent à l'endroit où les sorcières ont versé leur sang. Mais de tous les arbres, le palmier n'a pas d'âme. Ils se tiennent éloignés les uns des autres, artificiellement placé à dix mères les uns des autres, à la recherche de la symétrie qui reflète un vide.

Sur la côte Ouest, tout est différent. Le faux semblant est une règle d'or dans la ville des anges, on sourit puis, quand les dos se tournent, les langues fourchues libèrent des mots tranchants. Ce sont ces mêmes gens qui organisent des galas de charités pour les mêmes personnes qu'ils détruisent.

Un gala de charité. La voilà la clef de ma rédemption. Je note mentalement d'appeler Matt dès que je serai seule. Après ça, j'arrêterai pour de bon et pourrais mener une vie paisible et normale avec Hugh, pour le restant de mes jours...

J'ai mis une robe dorée pour l'occasion. Noah porte un costume noir classique. Nous devons arriver ensemble malgré notre rupture que nous avons simulée pour la promotion du film, sa copine le rejoint là-bas.

— J'ai surtout hâte de voir Hugh et que toute cette mascarade se termine.

— Parle pour toi.

Lui aussi observe les palmiers sans âmes de sa ville. Noah est ce qu'on appelle un enfant-star, il a commencé sa carrière en faisant des publicités puis est très vite devenue la tête d'affiche d'un film qui a fait un carton. A l'âge où je rêvais d'Hollywood, il recevait son premier oscar. Sûrement qu'il aimait jouer enfant mais sa carrière florissante l'a fait rater beaucoup de plaisirs, il n'a jamais connu les vrais amis et les attentes silencieuses de tous ceux qui rêvent de le voir tomber reposent sur ses épaules. Je le plains d'avoir réalisé son rêve aussi jeune, il a plus de temps pour subir le revers de la médaille.

Because of us ( TERMINÉE )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant