Chapitre 1

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Aujourd'hui, il faisait beau et chaud, ce qui était plutôt rare en Angleterre. La grande rue grouillait de monde. Quelqu'un me bouscula violemment, et je trébuchai. Je me rattrapai de justesse à un lampadaire et me redressai. Les environs étaient bondés. Il y avait à peine la place de circuler ! Mais c'était habituel. Il était trois heures de l'après-midi, et chacun vaquait à ses occupations sans se préoccuper du reste, en marchant d'un pas pressé, sans regarder autour de lui. Tous...sauf moi. Je prenais tout mon temps pour marcher, mes mains bien enfoncés dans les poches de mon pantalon. Après tout, pourquoi se presser ? J'étais en vacances depuis presque deux semaines, et j'avais bien l'intention d'en profiter chaque instant.

Je devais retrouver mes amis au parc dans lequel on traînait depuis le début des vacances. On ne savait pas tellement trop quoi faire de nos journées, mais ça avait un côté plutôt agréable. D'être insouciant. De ne plus avoir à prendre des notes sur ce que nous disait un prof du lycée d'une voix qui nous fait somnoler, entre autres.

J'avais dû beaucoup insister auprès de ma mère pour qu'elle veuille bien me laisser me balader dans les rues de la ville avec mes amis. Elle était un peu mère-poule, mais je l'adorait. Ainsi que mon père, qui était en ce moment en Chine pour son travail. Il se déplaçait beaucoup, mais il faisait plein de choses avec ma mère et moi quand il rentrait.

Je décidai de rentrer dans le parc par une autre entrée que celle que j'empruntais habituellement. Ça me changerait un peu.

Mes amis avaient apparemment eu la même idée que moi car ils étaient assis sur un banc en bois tout près de l'entrée. Il y avait là la bande au grand complet. En me comptant, nous étions sept au total.

Même Alban était là, lui qui était censé assister au huitième mariage de sa tante, qu'il détestait cordialement, et avec raison. Sa mère travaillait beaucoup, et son père était mort lorsqu'il était tout petit, donc c'était sa tante qui s'occupait de lui la plupart du temps. Je l'avais rencontrée, un jour, car Alban m'avait invité dans sa maison. Et ça avait été l'horreur. La tante d'Alban nous avait traités avec un grand mépris dès qu'elle avait compris que je n'étais pas particulièrement intéressant. C'était une femme dans la quarantaine, mais qui s'habillait toujours tout en noir avec des voilettes de dentelle noire qu'elle accrochait sous ses chapeaux, qui lui recouvrait les cheveux et le visage, avec des manteaux et des tours de cou en fourrure d'animaux. Elle portait des tonnes de bijoux trop clinquants, mettait du maquillage affreux, et empestait le parfum car elle en mettait dix fois trop et plusieurs différents à la fois. Elle s'était mariée avec des hommes tous très vieux et riches, pour attendre leur mort et récupérer l'argent. Alors on pouvait dire que Marie-Mathilda Durant est une femme plutôt détestable. Et aujourd'hui, elle se remariait pour la huitième fois, avec un riche et vieil homme d'affaires qui n'avait sûrement pas encore compris à qui il avait à faire.

- Éthéas ! s'écria George de sa voix aigüe en m'apercevant.

Georg Holm était un garçon particulièrement menu et aux traits enfantins, qui ne ferait pas de mal à une mouche. Nous ne le connaissions que depuis cette année, car il avait déménagé de son pays natal, la Suède, pour venir s'installer ici, à Londres. Il avait déjà beaucoup voyagé, contrairement à moi, qui ne connaissait rien d'autre que la capitale et quelques villes voisines. J'avais toujours refusé que mon père m'emmène visiter d'autres endroits quand il partait en voyage professionnel. Ma mère ne pouvait pas voyager à l'étranger car son corps ne supportait pas (ou difficilement) la longueur des trajets, alors je ne voulais pas l'abandonner ici toute seule, même si elle m'avait souvent assuré que tout irait bien pour elle si je m'en allais pendant quelques jours.

Le reste du groupe leva la tête et me fit signe. Je leur répondis et commençai à me diriger vers eux quand mon regard accrocha quelque chose d'écrit sur le mur, au milieu des tags. Curieux, je m'approchai. Une phrase était écrite en rouge sur le mur, avec une substance qui ressemblait étrangement à...du sang. Je ne reconnus pas la langue dans laquelle elle était écrite, mais je n'étais pas très calé en langues. J'appelai mes amis, car peut-être en sauront-ils plus que moi :

- J'ai trouvé quelque chose !

Georg fut le premier à côté de moi ; il courait le plus vite. Lorsque tout le monde fut rassemblé autour de moi, je leur dis :

- Il y a quelque chose d'écrit sur le mur.

J'indiquai l'endroit en question du bout de l'index, mais ils me regardèrent aussitôt d'un air surpris.

- Tu...tu vois quelque chose, toi ? me demanda Estéban.

- Si je vous le dis ! m'énervai-je. C'est juste là, en rouge, comme avec du sang.

- Moi, je ne vois rien, affirma George. Tu déraille, Éthéas.

Estéban et les autres acquiescèrent.

- Mais je vous jure qu'il y a quelque chose ! m'écriai-je d'une voix légèrement plus aigüe qu'à l'ordinaire.

Les autres me regardèrent comme si j'étais devenu complètement fou. Peut-être était-ce le cas. Du bout du doigt, j'effleurai l'endroit où la phrase est écrite. Et là, des mots sortirent de ma bouche sans avoir voulu les prononcer :

- Le monde interdit...

J'étais alors persuadé qu'il s'agissait de la traduction de cette phrase étrange.

Mes copains évitèrent mon regard. Mais, tout d'un coup, un grand froid balaya l'air chaud de l'été dans le parc. Ils reculèrent tous, mais je restai à ma place, figé comme une statue de pierre. Bizarrement, je me sentis en confiance, alors que ce qu'il se passait était loin d'être normal. Et soudain, le muret où était écrite la phrase en rouge qui, j'en étais persuadé, signifiait « Le monde interdit », se scinda en deux parties qui s'écartèrent en glissant sur le sol en terre. Le temps parut se suspendre, puis je me sentis aspiré tout entier à l'intérieur. Et là, la peur me rattrapa. Je me retournai et tendis la main vers Georg, qui était en cet instant le plus proche de moi. Mais il contemplait le mur d'un air ébahi et je compris que j'allais devoir continuer seul dans cette aventure.

Je me tournai à nouveau face au mur, car je voulais affronter face à face mon destin.

Le mur m'aspira, un déclic se fit entendre, et le noir des ténèbres m'engloutit.

Le Monde Interdit T1 [EN RÉÉCRITURE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant