Chapitre 12

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Brusquement, je songeai à mon petit lit bien douillet, chez moi, dans mon monde. J'avais envie de dormir, mais Rose ne s'arrêta pas, alors qu'il faisait nuit. Cette fille était vraiment infatigable ! Malheureusement pour elle, ce n'était pas mon cas.

- On peut s'arrêter ? gémis-je. Je suis fatigué...

Même si elle était dos à moi, je la vis lever les yeux au ciel. Il était vrai (je le reconnus moi-même) que j'étais en train de pleurnicher comme un gamin. Mais j'avais tellement mal aux pieds !

- Il faut sortir de cette forêt le plus vite possible, soupira-t-elle.

- Mais pourquoi ?

J'avais vraiment envie de m'arrêter. Elle dût percevoir mes pensées car elle se tourna vers moi tout en continuant de marcher :

- Il faut sortir ! répéta-t-elle. Sinon la forêt nous avalera tout entier, et je n'en ai aucune envie.

Ahhh ! La forêt voulait nous avaler ? Mais pourquoi ne l'avait-elle pas dit plus tôt ? Je courus devant elle, ma fatigue et ma douleur dans les pieds aussitôt oubliées.

- Éthéas ! m'appela-t-elle.

Je ne pus me retourner vers elle. Elle avait dit que si on s'arrêtait, la forêt nous avalerait !

- Attends !

Je ne m'arrêtai pas. Il ne fallait pas que je m'arrête, il ne fallait pas que je m'arrête, il ne fallait pas que je m'arrête, il ne fallait pas que je...

Un main attrapa brusquement mon bras pour me faire arrêter. Je pilai net. Devant moi, un gouffre très profond. Je me trouvais juste au bord. Je déglutis, et me retournai. Rose était derrière moi.

- C'est...c'est la deuxième fois que tu me sauves, lui fis-je remarquer.

Elle haussa les épaules dans un geste nonchalant et décontracté. Mais je vis quelque chose passer dans son regard, quelque chose que je n'arrivai pas à décrypter, comme si elle avait été inquiète.

- Merci, dis-je.

En temps ordinaire, je disais rarement "merci". Ce mot était presque banni de mon vocabulaire. Mais là, ce mot était sorti tout seul, et je ne pouvais faire autrement. Rose hocha simplement la tête, et ça m'allait parfaitement, car je ne voulais pas qu'elle dise autre chose. Je ne voulais pas qu'elle dise : "De rien". J'avais toujours trouvé ces mots débiles. Ce n'était pas rien de me sauver de la mort deux fois. Elle ne dit rien. Tant mieux.

Je ne dis rien de plus non plus. Nous restâmes un long moment à nous regarder, face à face, moi dos au gouffre et elle, dos à la forêt que nous avions traversée. Il faisait nuit noire.

- Viens.

Rose me tira par le bras. Nous pénétrâmes à nouveau dans la forêt. Je frissonnai.

- Nous allons passer la nuit ici.

Je n'étais pas rassurée à l'idée que des créatures bizarres viennent me faire un petit bonjour cette nuit.

- Heu...Tu tiens vraiment à dormir ici, avec toutes ces choses qui nous poursuivent ?

Et qui savait quelles créatures arpentaient cette forêt la nuit...

- Nous allons passer la nuit ici, que tu le veuilles ou non, répondit fermement Rose.

- Mais... Tu as dit que la forêt pouvait nous avaler ? C'est trop dangereux ! On ne peut pas rester ici ! protestai-je.

Rose se tint devant moi, l'expression glaciale.

- Écoute, commença-t-elle. Tu as le choix : soit tu essaies de franchir le gouffre en pleine nuit sans moi, soit tu arrêtes de faire ta tête de mule et tu dors ici. C'est l'endroit le plus sûr.

J'avais encore envie de protester, mais elle s'éloigna. Je la vis passer sa main sur l'écorce d'un arbre et fermer doucement les yeux. Puis il se passa quelque chose d'extraordinaire. L'arbre s'illumina doucement, et baissa petit à petit ses branches vers le sol, vers Rose. J'étais ébahi.

- Tu viens ? m'appela Rose.

Je me raclai la gorge. Quel spectacle ! J'approchai de l'arbre, et nous montâmes dedans. Chacun s'installa sur une branche. Elles étaient larges et confortables, presque autant que mon lit douillet auquel je pensais tout à l'heure !

Rose se pelotonna contre le tronc et ferma les yeux.

- Bonne nuit, dit-elle.

- Bonne nuit, je lui répondis, toujours époustouflé.

Je compris mieux comment elle avait réussi à grimper dans l'arbre maintenant ! Et je retirai ce que j'avais dit de sarcastique tout à l'heure : les arbres se baissaient bel et bien pour nous aider à grimper !

Je ne fus pas très rassuré à propos de demain. D'après ce qu'avait dit Rose, nous allions devoir franchir ce gouffre gigantesque. Je poussai un long soupir, et m'endormis doucement, roulé en boule contre le tronc.

Le Monde Interdit T1 [EN RÉÉCRITURE]Where stories live. Discover now