Chapitre 48

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Après mes réflexions, je constatai que Rosessa avait à nouveau fermé les yeux.

Je me tournai aussitôt vers Luzraël, qui me regardait déjà, ses prunelles vides et noires rivées sur moi.

- Qu'est-ce que tu lui as encore fait ? crachai-je.

Il leva les mains en signe de paix, le regard neutre, mais j'eus le temps de le voir esquisser un sourire de triomphe.

Je m'avançai vers lui, jusqu'à ce qu'il se retrouve nez à nez avec moi. Nous nous regardâmes droit dans les yeux, l'un et l'autre trop fiers pour baisser le regard.

- Je ne me répéterai pas ! criai-je.

Je devais vraiment être hors de moi car, d'ordinaire, rares étaient les moments où j'élevais beaucoup la voix, où je laissais la rage s'emparer de moi.

- Il faut simplement qu'elle se repose...

J'émis un petit soupir dubitatif, en regardant les paupières closes de Rosessa.

Aussi étrange que cela pouvait paraître, ses étranges yeux vairons me manquaient. Tout chez elle me manquait, même nos disputes pour des choses futiles.

Je sentis que Luzraël me scrutait. Alors que mes pensées divaguaient, il m'interpela :

- Alors, ça fait quoi ?

- De quoi est-ce que tu parles ?

Il s'adossa à un tronc d'arbre, et croisa les bras sur son torse.

- Rose ne t'aimera jamais, Éthéas. Tu n'es rien. Je suis l'Élu de la Prophétie.

Il pointa sa poitrine d'un doigt, accentuant le "Je".

Je ricanai avec amertume, et lui tournai brusquement le dos.

- Tu ne voulais pas allumer un feu ? Il fera bientôt parfaitement noir...

Je sentis son regard sur ma nuque. Il me brûlait. Glacial. Meurtrier. Je ne savais pas ce que je lui avais fait pour qu'il ait autant l'envie de me tuer. Peut-être était-ce simplement le fait que je sois là, tout simplement. Car, d'après lui, je n'étais qu'une erreur. Alors, comment expliquer que j'avais de la magie en moi ?

J'aurais dû frissonner sous ce terrible regard.

Mais non.

Car je savais. Je savais qu'il ne pouvait pas me tuer. Il était dans l'incapacité de le faire. Il l'avait avoué lui-même.

Je devais tout de même me méfier. Me méfier de ses manigances, de ce qu'il entendait par "s'amuser avec moi".

Car, moi, je n'avais vraiment pas envie de le laisser s'amuser avec moi !

C'était vrai, quoi !

Pourquoi pourrait-il s'amuser avec moi, et moi, non ?

Ce ne serait vraiment pas juste. Pas juste du tout...

Prépare-toi, Lulu, le jeu ne fait que commencer, pour toi, comme pour moi...

- Je vais allumer un feu, alors, annonça soudain Luzraël, la voix toujours aussi froide. Pousse-toi.

Son ton était sec, et je profitai du fait qu'il ne pouvait pas me voir pour lever les yeux au ciel. Mais ce gars devait posséder un sixième sens, car il poussa un grognement mécontent.

- Arrête !

Je haussai les épaules, toujours dos à lui, dissimulant un petit sourire victorieux. J'avais l'agréable impression d'être la seule personne à pouvoir agacer ce garçon impassible... Parfait. Vraiment parfait.

J'allais bien m'amuser, dans les jours à venir !

Tout comme il va bien s'amuser avec toi, Éthéas, chuchota une petite voix dans ma tête. Fais attention, ou tu risques de te perdre...

Le jeu pouvait débuter.

J'étais prêt.

La guerre ne faisait que commencer.

J'entendis soudain un crépitement, derrière moi. Puis je sentis la chaleur, une douce chaleur, se répandre dans mon dos.

Je pivotai sur mes talons, me retournant face à Luzraël.

Seul le feu nous séparait. Je vis les flammes dorées se refléter dans son regard noir.

Je levai le menton en signe de défi.

Il esquissa un sourire machiavélique pour toute réponse.

- Tu vas tout perdre, Éthéas.

Levant fièrement mon regard, je répliquai :

- Je n'ai plus rien à perdre.

Son sourire ne fit que s'élargir.

- En es-tu bien certain ?

Tout comme la première fois, la forêt répéta ses mots, répandant quelques chuchotis entre les branches, glissant sur les feuilles épaisses :

- Tout perdre...

Le Monde Interdit T1 [EN RÉÉCRITURE]Where stories live. Discover now