Chapitre 45

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Luzraël choisit un petit creux rempli de mousse verte au pied d'un arbre pour y déposer le corps de Rosessa. Je surveillai le moindre de ses mouvements pendant ce temps, méfiant.

Puis il se redressa et se frotta les mains pour se réchauffer.

- Bon. Il faut faire du feu.

- Tu veux que j'aille chercher du bois ? demandai-je naïvement.

Il rejeta la tête en arrière, partant d'un grand rire moqueur. Puis il tourna ses grands yeux froids vers moi. Je fus une nouvelle fois happé par le vide de ses prunelles. Il était vraiment anormal.

Il rompit le contact visuel et leva les mains, paumes tournées vers le ciel.

- La magie nous réchauffera plus qu'un simple feu de camp, mon petit.

- Ne m'appelle pas comme ça ! protestai-je.

Nous avions le même âge ; il exagérait !

- Alors comporte-toi comme quelqu'un de ton âge, et pas comme un enfant. Et là, je ne t'appellerai pas "petit".

- D'accord, Lulu. Appelle-moi "petit", et je te rendrai la pareil.

- J'ai une raison, à l'inverse de toi.

- Ta raison ne tient pas la route, Lulu.

Il leva les yeux au ciel.

- Si tu veux voir le jour se lever demain, tu ferais mieux de te taire, et très vite !

- Vas-y, tue-moi.

J'ouvris grand les bras, et il tourna des yeux presque écarquillés vers moi.

- Quoi ?

- Tue-moi, répétai-je.

Il continua de me regarder.

- Tue-moi, espèce de lâche. Arrête de proférer des menaces que tu n'exécutes pas ! Tue-moi, fais ce que tu rêves de faire !

- Tu dis ça mais tu as peur !

- Non, je n'ai pas peur de toi.

Je redressai les épaules, et relevai la tête pour croiser son regard.

- Tue-moi, lâche, répétai-je.

Il ne fit rien.

- Tu vois, tu n'en es pas capable, le provoquai-je.

Quelque chose s'enflamma dans son regard, et il dirigea ses mains dans ma direction.

- Tue-moi, le défiai-je.

- Je peux le faire.

Je baissai les bras et lui souris.

- Alors, vas-y. Qu'est-ce que tu attends ?

- Je n'ai pas envie de le faire maintenant.

- Allez, Lulu ! Qu'est-ce que tu risques ? Tu as peur de pleurer après ma mort ? Tu as peur de t'être trop attaché à moi ?

- Sûrement pas !

- Alors dépêche-toi !

- Non.

- Non ?

- Non.

- Non ?

- Non.

- Non ?

Il me jeta un regard noir, une lueur meurtrière dans les yeux.

- Tu vas continuer ce petit jeu longtemps, Éthéas ?

- Aussi longtemps qu'il faudra pour que tu me dises pourquoi tu dis "non".

- En quoi est-ce que ça te regarde ?

- C'est de ma mort potentielle dont on parle, là !

Il garda le silence.

- Je te propose de me tuer, et tu dis "non". Il y a quelque chose qui cloche, là ! Tu en rêves, je te donne l'autorisation, et te te défiles ! Tu es trop sensible pour le faire...

- Ce n'est pas ça. J'ai déjà tué des gens.

- Oui, c'est vrai, ça me paraît  normal, ironisai-je. C'est courant, de tuer des gens. J'imagine que tu n'as pas de remords ?

- Non.

- C'était des gens méchants ?

Il esquissa un sourire carnassier.

- Je ne sais pas. Il y en a un, c'est parce qu'il m'avait bousculé.

Inconsciemment, je reculai.

- Tu as peur, Éthéas ?

- C'est mal.

Il haussa les épaules.

- A Paris ? demandai-je.

- Bien sûr !

- "Bien sûr". Éhtéas, voyons, c'est tellement logique de tuer des gens qui t'ont bousculé !

Un silence s'installa entre nous.

- Mais n'essaye pas de changer de sujet avec moi, Luzarël. Je connais bien ce domaine, et tu ne gagnera pas à ce petit jeu, pour reprendre tes propres mots. Pourquoi ne veux-tu pas me tuer ? Pour toi, je ne suis qu'un sale imposteur qui ne connaît rien à la magie. Je suis collant et énervant. D'après toi, je n'ai rien à faire là. Donc... Pourquoi ?

Le regard noir et vide de Luzraël s'enflamme brusquement.

- J'aimerais profondément te tuer, crois-!moi ! Mais je ne le fais pas, tout simplement parce que je ne peux pas ! J'en suis incapable !

Je tiquai.

- Mais... Je croyais que tu avais déjà tué des gens ?

Il rigola.

- Oui.

- Alors comment ce fait-il que tu sois dans l'incapacité totale de me tuer, Lulu ? Explique-moi.

Il soupira et leva les yeux au ciel à l'entente de son surnom.

- J'ai voulu de tuer dans la caverne.

- Merci pour l'information ! lançai-je. C'est bien que je sois au courant que ma vie a failli s'arrêter il y a quelques heures...

- J'ai voulu te tuer, mais je n'ai pas réussis.

Il posa son regard vide sur moi, et la couleur ténébreuse de ses yeux me fit reculer.

- Quelque chose que je ne comprends pas te protège, Éthéas. Je ne peux pas te tuer.

Le Monde Interdit T1 [EN RÉÉCRITURE]Where stories live. Discover now