Chapitre 29

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En regardant le corps de Rose étendu à terre, je culpabilisai. Puis je songeai combien elle aurait détesté dire ces choses gentilles sur le roi, alors qu'il était cruel et que c'était à cause de lui que ses frères étaient morts.

Et puis, il était trop tard pour les remords !

Je pris Rose sur mon dos. C'était la première fois que je portais une fille, et ça me fit bizarre. Mais je devais le faire. Pour Rose. Pour notre mission.

Tout en resserrant les bras de Rose autour de mon cou, je regardai le château qui se dressait majestueusement au loin. Il devait se trouver à deux-trois kilomètres à vol d'oiseau. Il fallait que je réussisse à pénétrer à l'intérieur, ce qui ne serait pas chose facile, sans Rose à mes côtés.

Alors je commençai à marcher en direction du palais, seul.

***

Rose était légère, c'était comme si elle n'était pas sur mon dos, tellement elle ne pesait pas lourd. Ce qui était tant mieux : j'avançais beaucoup plus vite.

Au détour d'un virage, la ville apparut devant mes yeux. Et quelle belle ville ! Les façades des maisons étaient en pierres, le sol en dalles orangées... Tout était si joli que jamais je n'aurais pu penser qu'un roi cruel habitait dans le château.

Puis je me rendis compte de quelque chose : il n'y avait personne dans les rues. Les portes des maisons étaient closes, les fenêtres fermées, les rideaux tirés. Il n'y avait pas âme qui vive, à part moi, qui vagabondais dans les rues pavées. J'étais si solitaire, que cela me rendit mal à l'aise. Plus vite je trouverai la Prophétie, plus vite je sortirai de cette étrange ville et plus vite Rose retrouverait son état normal.

Alors que je me dirigeai vers le palais, une voix autoritaire et envoûtante sortit brusquement de nulle part :

- Chers citoyens, chères citoyennes, vous qui m'êtes si dévoués, je vous ordonne de sortir de vos maisons et de vivre !

A la fin de ce dernier mot, j'eus le choc de ma vie en apercevant toutes les portes, jusque-là fermées, s'ouvrir brusquement en même temps et des gens sortir tels des automates. Je compris qu'il ne fallait pas que je sois vu. Le roi était le maître du jeu. La population toute entière était sous son contrôle.

Rose bougea sur mon dos. Elle se libéra aussitôt, et je ne fis rien pour la retenir.

Je ne la retins pas, le cœur rempli d'espoir à l'idée que nous allions nous en sortir, car elle était de nouveau avec moi.

J'aurais dû la saisir par le bras. J'aurais dû l'empêcher de sauter de mon dos.

Parce que, lorsque je regardai ses yeux, je vis qu'ils étaient dorés, et qu'elle regardait droit devant elle, dans le vide.

Je compris qu'elle avait entendu, dans son sommeil, les ordres du roi. Je sus alors aussi que, quoi je fasse ou quoi que je dise, elle serait toujours hors de ma portée. Je l'avais définitivement perdue. Elle ne savait plus qui j'étais ni même qui elle était. Elle n'obéissait plus qu'à une seule et unique personne, comme tous les gens sous le dôme, dans cette ville : le roi.

Lorsqu'elle passa près de moi sans me voir, lorsqu'elle sortit de derrière le mur où je m'étais dissimulé et qu'elle se mêla à la foule docile, je me rendis compte avec horreur que je ne pouvais rien faire pour elle, ni pour tous ces gens tenus sous l'emprise du roi. J'étais complètement et irrémédiablement impuissant devant ce triste spectacle.

Rose n'était plus Rose, et toutes ces personnes n'étaient plus les mêmes depuis très longtemps. Tant que Rose serait maintenue sous le pouvoir du roi, il ne lui arriverait rien, car il avait besoin de sa population.

Alors, le cœur lourd, je regardai une Rose que je ne connaissais pas marcher comme un automate dans une foule qui faisait exactement la même chose, et partit vers le palais.

Le Monde Interdit T1 [EN RÉÉCRITURE]Where stories live. Discover now