Chapitre 56

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Je croisai les bras.

- Je l'avais déjà compris. Mais j'avais besoin que tu me le redises.

- Pourquoi ?

Je fis volte-face, ne répondant pas. Il ne méritait pas une réponse de ma part.

- Qu'est-ce que vous faites, encore ? demanda Rosessa.

Je me figeai, mais ne me retournai pas. Son regard me brûla la nuque. Ce n'était pas le regard qu'elle avait avant, quand elle me regardait. Non. Elle se trouvait maintenant du côté de Luzraël. Pour elle, j'avais enchaîné les erreurs, apparemment.

- On discutait, répondit Luzraël.

Je la sentis nous regarder tour à tour.

- Quand partons-nous ? demanda-t-elle.

J'éclatai de rire.

- Qu'est-ce que tu as ? me demanda Rosessa, la voix froide.

- Rien du tout.

- Nous partirons quand nous aurons mangé et rangé nos affaires, dit Luzraël , répondant ainsi à la question de Rosessa.

Je pivotai, pour me retrouver face à eux.

- Tu lui réponds, même pas à moi, alors qu'ils s'agissait de la même question, observai-je.

Luzraël soutint mon regard noir. Puis il esquissa un sourire narquois.

- Effectivement.

- Et je peux savoir pourquoi ? murmurai-je.

- Rose et moi sommes les Élus. (Il me jeta un regard hautain.) Toi, Éthéas, tu n'es rien dans ce monde.

Je croisai les bras, prêt à me défendre.

- Ah oui ? Comment expliques-tu que j'ai de la magie en moi ?

Luzraël, d'un claquement de doigts, éteignit le feu qui brûlait toujours. Il fit soudain beaucoup plus sombre, et cette noirceur était menaçante, comme si elle prenait les émotions de Luzraël et se les appropriait.

- Tu n'es qu'une erreur, Éthéas. Une erreur de la nature de notre monde. Tu n'es pas né ici.

- Les Trappes étaient fermés, protestai-je. Comment expliques-tu être né ici, puis avoir vécu en France ?

Il me lança un regard étrange.

- Je ne l'explique pas, répondit-il.

J'ouvris la bouche mais il me tourna brusquement le dos.

- Tu es une erreur, une grave erreur, Éthéas. Et je suis l'Élu de la Prophétie, donc c'est tout ce qui compte.

Rosessa me jeta un regard noir, puis posa une des ses mains sur l'épaule de Luzraël. Ce geste me rappela le jour de notre première rencontre, dans le terrier, quand elle avait tenté de ma rassurer comme ça. Je détournai les yeux, dégoûté et affreusement triste.

- J'aimerais que tu apportes une réponse à ma question, Luzraël.

Il me fit à nouveau face. Ses yeux noirs luisaient dans la pénombre et flamboyaient d'une rage contenue.

Je savais que, tôt ou tard, cette rage allait m'exploser à la figure, car j'en étais la cause.

- Je ne sais pas. Je sais que je suis né ici, c'est tout.

- Non, ce n'est pas tout, protestai-je, tout en m'approchant de quelques pas. Comment le sais-tu ? Ta maman te l'as dit ?

Quelque chose passa dans son regard.

- Je n'ai jamais parlé à ma mère, donc non.

- Tu ne lui as jamais parlé ?

Pour ma part, je ne m'imaginais pas vivre sans la mienne. Alors, un sentiment étrange me serra la poitrine. La pitié.

- Tu ne l'as jamais connue ? demandai-je.

- En quoi est-ce que ça te regarde, Éthéas ?

Je haussai les épaules pour ne pas lui montrer ce que je ressentais maintenant à son égard.

- Je monte un dossier sur toi, donc j'aimerais en savoir plus sur mon ennemi.

Il me sourit mauvaisement.

- Je n'ai pas de faiblesses. Aucune. Alors tu perds ton temps.

Je poussai un long soupir.

- Dommage... Maintenant, peux-tu me répondre ? Comment le sais-tu ?

Son regard se perdit au loin, derrière ma tête.

- Je me souviens de ma naissance, dit-il.

Ses yeux vides s'enfoncèrent dans les miens, beaucoup plus clair. Je me vis en reflet dans son regard. Nous étions différents, et pourtant si semblables...

- Tu ne peux pas t'en souvenir. C'est impossible.

- C'est possible, Éthéas, intervint Rosessa, d'une voix moins froide que tout à l'heure. Chaque personne de ce monde se souvient de sa naissance. Moi aussi. Tout le monde...

- ...sauf toi, termina Luzraël, son regard toujours planté dans le mien.

Ses yeux noirs s'opposaient à mes yeux bleus. Ses cheveux noirs s'opposaient à mes cheveux bruns, un peu plus clair que les siens.

- Et ta mère  à toi, Éthéas ? Vit-elle encore ?

Je reculai.

- Pourquoi est-ce que tu me poses cette question ?

- Pour en savoir plus sur mon ennemi, répliqua-t-il.

- Elle vivait encore avant que j'arrive ici, en tout cas, répondis-je.

Le regard de mon ennemi s'aiguisa.

- Elle est malade ?

- Depuis toujours, soufflai-je.

Et là, son visage laissa transparaître, pendant une minuscule seconde, un fragment d'émotion. Quelle émotion ou quel sentiment, je n'en savais rien, mais il y avait quelque chose, là, sous la surface.

J'en étais à présent persuadé.

Luzraël se montrait fort de l'extérieur. Mais, à l'intérieur, il était aussi brisé et fragile que moi.

Le Monde Interdit T1 [EN RÉÉCRITURE]Where stories live. Discover now