Marcus

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Le silence est revenu, c'est vraiment insoutenable. Est-ce père le responsable ? Non... oui ? Évidemment que c'est de sa faute. Me tournant difficilement vers ma petite fenêtre, je peux distinguer les rayons de soleil transpercer les nuages gris. Pourtant, il ne pleut pas... Comme si la pluie avait cessé de tomber en même temps que les larmes de Marie.

Durant trois jours, elle n'a pas arrêté, et je me suis surpris à ressentir son chagrin, c'est d'ailleurs pour ça que père m'a puni. Je ne m'en plains pas, le temps qu'il passe avec moi, est un temps de répit pour le deuil de cette pauvre fille... Elle a perdu la seule personne qui lui restait au monde.

Je grimace, tente de me relever en me tenant le ventre. Mes côtes ont bruni, et mes plaies se sont refermées, j'ai si mal, pourtant, la pire des douleurs est celle de mon ventre qui crie famine. J'ai tellement faim... Un hoquet de douleur m'échappe lorsque je me mets à genoux, je tâte le sol à la recherche d'un morceau de pain caché pour les jours de punitions, il va m'aider à tenir quelques jours de plus.

Les larmes recommencent à inonder mes joues, mais aucun son ne traverse mes lèvres. Je ne dois pas faire de bruit, et maintenant, mon corps s'est adapté... Je repense à Marie, à la force de ses cris, elle implorait le père de tout son être, jurait obéissance et demandait pardon... Rien n'y fait... Maya n'est plus.

Je crois que Marie s'est éteinte, elle aussi. Ce genre de chose détruit une personne de l'intérieur. Bientôt, le père se lassera d'elle et lui fera la même chose qu'à tous les autres... Je le verrais alors au fond du jardin, à creuser une tombe sans nom... Il y en a plein... Il y a maman. 

Je sers les dents, penser à ma mère me fait mal au cœur, et la colère remplace le chagrin que j'éprouve pour Marie et Maya. Comment se fait-il que je sois encore ici, moi, pourquoi n'ai-je pas été prit comme ses autres enfants ? Suis-je condamné à faire comme cette lâche qui ma mise au monde... Peut-être.

... Parce que rien ne pourra me sauver. Personne ne sait que je suis là... Depuis toujours. Personne ne veut de moi, mise à part mon père. Si je venais à fuir, très vite, je serais ramené ici, et je payerai ma fuite très très cher...

Je ne veux plus souffrir...

Je ne veux pas mourir, non plus.

Je suis perdu, comme tous les autres.

Je n'ai jamais ressenti le besoin de m'attacher à ces autres enfants. Leurs cris dans la nuit ne faisaient qu'apaiser mon angoisse... Parce qu'il était avec eux, et pas avec moi... J'avais mon temps de répit. Et puis, deux fillettes sont arrivées. Je me souviens clairement que la plus âgée, Marie, dévisageait avec méfiance le père, elle avait raison, il ne la libérait pas de orphelinat mais la plongeait dans un enfer sans retour.

Tout ça, grâce à cette femme... Lisa ? Non... Louise... C'est ça. Louise lui donne des enfants que personne ne veut... Que personne ne cherchera... Tout ça, pour de l'argent... Moi, je n'ai pas été vendu. Moi... Je suis ici depuis toujours.

J'ai d'abord été jaloux de ses deux sœurs. J'entendais les rires de Maya, j'écoutais Marie raconter des histoires, je guettais leurs ombres depuis ma fenêtre et je me surprenais à sourire avec elles... Pourtant, elles ignorent que je suis là... Si seulement elles pouvaient me voir. Marie est gentille, elle s'occuperait de moi, comme elle s'occupait de sa cadette.

Peut-être que mon père me permettrait de sortir, maintenant. Maya est morte, et Marie à besoin de quelqu'un pour l'aider à se sentir moins seul. Je suis parfait pour ça, et puis je comprends très bien ce qu'est la solitude. Je n'ai personne...

Oui... Marie sera mon amie.

Une désagréable odeur se répand, elle vient de dehors, mais de la maison également. Main sur le ventre je m'abaisse pour regarder sous le pas de la porte, et mon cœur rate un battement. De la fumée ? Il y a le feu quelque part ? Oh, non, père n'est pas là, et Marie est encore dans la chambre de Maya.

Elle doit fuir !

Elle ne peut pas mourir ici... Quoi que, ce serait une mort douce par rapport à ce qui l'attend. Mon cœur tambourine, j'ai peur pour elle, je n'ai pas envie de la perdre, je veux qu'elle descende dans la cave, que père l'y autorise, et que nous devenions amis.

Me levant difficilement, je me redresse sur mes pieds et tente de voir au loin. Je suis tellement impuissant, je dois tenter quelque chose, n'importe quoi, alors j'empli mes poumons d'airs, puis tousse de douleur, alors je recommence, pour l'appeler de toutes mes forces, la mettre en garde, éviter qu'elle brûle...

Et la voiture de mon père arrive, mon cœur se resserre douloureusement, je ne peux pas crier, si je le fais, il me punira encore. Je ressens un maigre soulagement, il va la sortir de là, Marie ne brûlera pas, par contre, elle aura droit à une correction pour ne pas avoir fait attention... D'ailleurs, d'où vient l'incendie ?

Un tissu retombe au sol, je cherche mon père des yeux, le cœur martelant, il a couru à l'intérieur et... Un corps tombe dans un bruit sec. Marie est devant moi, elle se relève difficilement, ma tête va exploser alors que je la vois clairement. Son visage est couvert de larmes, ses vêtements sont sales et brûlés, tout comme ses bras...

Un élan de fierté mêlé à de la jalousie m'envahit. Serait-elle train de fuir ? Oui, Marie souhaite fuir cet enfer... Personne n'a jamais pu le faire... Ou plutôt, personne n'a jamais trouvé le courage de le faire... Et elle, ma courageuse petite Marie, s'apprête à sauver sa vie.

Elle lève la tête, reniflant silencieusement, ses lèvres bougent, mais je n'entends pas ce qu'elle dit parce qu'elle fond en larme sans pourtant laisser un son traverser sa bouche. Elle a appris à pleurer en silence, elle aussi...

Mon cœur rate un battement alors qu'elle baisse la tête. Nos yeux se croisent, et je ne respire plus. Elle m'a vu ? Marie me voit vraiment... Elle sait que je suis enfermé dans la cave, et bientôt, elle viendra me sauver, moi aussi. Marie va me libérer...

- Marie ! hurle mon père à l'étage.

Mon corps sursaute sous la terreur, et celui de Marie également. Cela la fait réagir, elle tourne les talons pour entamer une course infernale. Marie s'éloigne vers les bois, et rapidement, son corps disparaît... Mes larmes reviennent, pourtant, je ne cligne pas des yeux, fixant la bordure des bois, et espérant... Qu'elle revienne me chercher.

Elle m'a vu, n'est-ce pas ? Marie sait que je suis là, elle sait que père me garde enfermé... C'est pour ça qu'il l'a battu, un fois, alors qu'elle a posé des questions sur le gros cadenas qui m'emprisonne. Marie n'a pas pu venir tout de suite, mais elle reviendra quand elle trouvera des secours...

Mon corps tremble sous mes sanglots, mais je ne me fais toujours pas entendre, et je retourne sur mon matelas. J'ai mal aux côtes, j'ai mal à ces plaies en forme de croix que père a dessiné sur ma peau pour purifier mon corps... J'ai mal au cœur, qui bat trop vite dans ma poitrine... J'ai mal d'être seul à jamais...

Marie est partie, elle s'est enfuie. Et si père ne la trouve pas, elle sera libre. Elle sera sauve... Je vais être celui qui encaissera à la fureur que sa fuite va engendrer, mais je n'ai pas vraiment peur... Mes larmes s'amoindrissent, un fin sourire soulève mes lèvres, et l'espoir naît...

Peu importe combien de temps ça va prendre. Marie va venir me chercher. Elle me sauvera également de cet enfer... Elle va revenir... J'attendrai le temps qu'il faudra.

Rancoeur du passéWhere stories live. Discover now