Chapitre 3

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L'atmosphère a été étrange ce matin-là, légère et éprouvante à la fois. Il espère depuis si longtemps que je me livre enfin. Je pense que cela lui procure un sentiment de connexion. S'il sait ce qui me fait souffrir, alors il fera en sorte de soulager mes peines et ainsi, faire avancer notre relation comme toutes les autres... Ma promesse d'en parler est en soi une preuve de mes propres sentiments.

Moi, je suis terrifiée de devoir mettre des mots sur le passé. Le bonheur d'Alex amoindrit mon mal, mais ma nouvelle perspective pour pouvoir avancer me donne un gout amer. Je sais que je peux le faire, la haine que je ressens pour le père pourra me pousser au crime... Par contre, je ne suis pas sûre d'être capable de supporter toutes les images de rappelle qui envahira ma tête lorsque j'y retournerai.

Il faut que tout soit parfait, que je prévois le moindre de mes gestes, que j'appréhende tous ce que je risque de trouver. C'est la ferme de mon enfance, et les sombres souvenirs que j'en garde n'attendent qu'une chose : me rappeler ma fuite dans les bois, alors que Maya brûlait depuis longtemps.

En relevant la tête, je remarque Louise et cette peste de Sarah, me dévisager. Elles ont cru que j'allais jouer leur jeu hypocrite, sourire devant chacun pour les rabaisser par-derrière, elles sont tombées de haut, je ne m'intéresse pas à ce genre de chose et elles l'ont vite compris.

Je me lève sans les quitter des yeux, la pose de midi arrive, je dois parler au supérieur pour mes prochaines vacances. J'ai besoin de quelque jour pour faire ce que j'ai à faire, mais aussi, un temps pour digérer le crime vengeur accompli... J'aurais son sang sur les mains, tout comme il a le nôtre.

Madame Jeeps m'accueille avec un sourire pressé, elle voudrait aller manger, ou retrouver un collègue pour s'envoyer en l'air, je m'en fiche, je veux mes congés. Je prends place lorsqu'elle m'y invite, passe en revue tous les points qui la feront céder, et je commence dès qu'elle me porte enfin une attention... Même minime.

- Je n'ai jamais pris de congé en deux ans, et je réclame deux semaines pour raison personnelle, dis-je d'une traite, elle écarquille les yeux, et feint la réflexion.

- Je vois, mais, deux semaines d'une traite, nous avons besoin de toi, ici, argumente-t-elle en espèrent que je raccourcis ma demande.

- J'ai des soucis familiaux, madame, il me semble que je n'ai jamais réclamé quoi que ce soit, même de manière justifiée.

- C'est vrai, tu es une employée exemplaire, tu accomplis ton travail, faisant d'ailleurs plus que demandé la plupart du temps, cela dit, deux semaines c'est énorme pour l'entreprise. Nous devons te remplacer sur court terme, cela engendre des tas de paperasse...

- Comme vous l'avez dit, j'ai fait plus que nécessaire, sans jamais me soucier du temps que ça me prend ou de la paperasse que cela engendre, répliqué-je trop sèchement. Ma vie privée a toujours été mise de côté, pour la banque, sauf que là, ma petite sœur a besoin de moi... J'irais, quoi qu'il m'en coute... Terminé-je en la défiant du regard d'oser me tirer les oreilles pour mon audace.

Madame Jeeps plisse les yeux, je m'apprête à donner ma démission, ou à menacer le faire, sauf qu'un sourire franc se dessine sur son visage. Je suis perdue par la tournure des évènements. Elle regarde sa montre pour la dixième fois depuis que je suis entrée, et expire bruyamment.

- Tu as raison, je dois prendre le temps de te rendre la pareille. Tu termines cette semaine, deux semaines ne sont pas la mer à boire, profite de ces instants pour mettre les choses en ordres avec ta cadette.

- Merci, madame... dis-je perplexe. Que vient-il de se passer ? Elle a dit oui, comme ça, après ma manière de lui parler.

Sans vraiment y croire, je me lève, les sourcils froncés, je me retourne plusieurs fois alors qu'elle me regarde encore, son sourire niais sur le visage. Je crois qu'elle a oublié son petit rendez-vous. Elle devrait se rappeler qu'elle a un mari et trois enfants, tant qu'on y est, l'adultère, ce n'est pas bien.

Soulagée, je termine ma journée plus sereine, la première étape est accomplie, il ne me reste plus qu'à tourner le plant parfait pour la suite. Je dois être pointilleuse, faire en sorte que ma vengeance ne me retombe pas dessus, je ne pourrais pas profiter d'une vie parfaite avec Alex si je suis derrière les barreau.

Il n'existe pas de crime parfait, dit-on, je vais faire en sorte de changer la règle. Après tout, il a bien réussi, lui, toutes ces années, tous ces cadavres dans sa cour, des innocents... Et il est libre pour la simple raison qu'il est un homme de Dieu... Vénérant sournoisement le Diable.

Nous étions seules, sans rien ni personne pour nous protéger. Tout ne fut que complot, d'échange, d'argent sale pour un silence éphémère. Après tout, lors du jugement dernier, chacun payera pour son crime... Moi aussi... Mais je m'en fiche. Je grillerai en enfer, mais j'aurai la satisfaction de savoir ma sœur au paradis.

Si je n'avais pas refusé de me séparer d'elle, si je n'avais pas été égoïste en me cachant derrière des excuses, Maya aurait été adoptée par une famille normale... surement. Elle aurait été en vie, quelque part... Je l'ai amené sans le savoir dans ce que je craignais le plus au monde : qu'on l'a brisé de l'intérieur.

Me pardonnera-t-elle enfin lorsque je l'aurais vengé ? Certainement. Je pourrais également souffler cette culpabilité, revivre comme il m'en a toujours empêché. Il ne sera plus, je me délecterais de sa douleur parce qu'elle fera écho à la mienne... A la nôtre.

Je passe mes derniers jours à profiter d'Alexandre après le travail, je le chasse la nuit venue pour faire mes recherches tranquillement, je n'ai que ça en tête, c'est devenu une obsession, je n'ai plus peur parce que je ne suis plus une petite fille fragile.

Je suis une femme.

Détruite, souillée, abimé des pires manières. Je suis en colère. Le père Anton va me craindre comme je l'ai crainte. J'en viens à sourire en l'imaginant brûler comme j'aurais dû. La peur se dissipe lentement, parce que je la revois, elle, ma petite sœur... Sans vie... en dessous de lui.

C'est une mort bien cruelle. C'est pour ça qu'il doit souffrir... Et je me délecterais de son agonie, ses plaintes et supplices... Oui, je le ferais !

Pour Maya.

Pour moi.

Et pour tous les autres avants nous.

Rancoeur du passéWhere stories live. Discover now