Chapitre 24- Marcus

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Le psy prend sur lui, car au début de nos entretiens, l'effroi était visible sur ses traits vieillis par toutes les horreurs qu'il a dû entendre. Il ne doit avoir que la cinquantaine, pourtant, chaque poil sur sa tête, mais aussi sur sa barbe, son blanc, privé de couleur pour rester neutre face à ceux qui sont malades dans leurs têtes, comme moi.

Le docteur Maurice garde une expression neutre, m'encourage à poursuivre mes récits d'un hochement de tête, comme si sa bouche refusait de s'ouvrir de peur qu'un gémissement de dégout ne lui échappe. Peut-être qu'il cherche à me couper le moins possible pour en savoir au maximum ? Je ne sais pas, et je m'en fiche. Sa mine faussement impassible me pousse à l'être également, et je me confie comme si je n'étais pas la victime de ses horreurs, je parle, m'engouffre dans le déni durant un instant, et je deviens spectateur, acteur, quelqu'un d'autre que l'enfant dans cette cave.

J'ai des étapes à suivre, c'est notre accord. J'exprime les faits, ensuite, je donne les noms et fais payer cette garce d'avoir osé briser ma petite Marie et sa sœur contre de l'argent.

Elle sera contente j'espère, libérée de cette trahison qui fut le début de tout.

- Lorsqu'un nouvel enfant arrivait, père ne venait que rarement dans la cave. Il m'apportait à manger quelquefois, et je gardais beaucoup de reste car je savais qu'il m'oublierait. Quand la faim devenait insoutenable, et que je n'avais plus rien, il m'arrivait de l'appeler... d'implorer un morceau de pain pour calmer les douleurs de mon ventre... Il fallait que je sois gentil, que je quémande comme il adore que je le fasse, et ensuite, j'avais droit à quelque chose.

- Vous vous montriez très docile, Marcus, je suppose que l'instinct de survie devient salvateur à ces moments, constate inutilement le psy et je souris amèrement.

- Vous croyez que je n'ai jamais tenté de me défendre ? De le combattre et m'enfuir ? Je connais les bois qui entourent la ferme, je sortais de temps en temps, en cachette, mais la peur me faisait revenir, après tout, je n'existais pour personne... Qui se serait encombré d'un enfant amaigrit, dérangé, violent.

- Ce sont des choses qu'il vous a dites, Marcus, vous l'avez cru, tout simplement, comme un enfant croit son père.

Un rire nerveux m'échappe, je le ravale en inspirant fortement. J'ai l'impression de perdre mon temps, car je sais tout ça, elle me l'a dit, Lyse me l'a montré autrefois, par ses gestes. Si je veux sortir d'ici la conscience tranquille, je dois tout dévoiler, quitte à supporter ces conneries pleines d'empathies. Je baisse les yeux sur mes doigts que je tortille, je n'ai pas la force de le regarder plus longtemps, son regard en dit long sur toute la peine qu'il éprouve face au pitoyable et stupide gamin que j'étais.

- Père n'aimait pas que je le dérange lorsqu'il était avec un autre enfant, sauf que les cris et les pleurs devenaient insoutenables parfois... Alors, même si j'allais être puni, je demandais sa présence pour n'importe quel motif... À ce moment-là, j'avais encore le pouvoir de le faire, ensuite, il m'a juste enfermé pour ne revenir que quand il était en colère.

- Vous pouviez donc vous promener dans la maison ?

- Bien sûr que non, je n'étais tout simplement pas enfermé à clé, expliqué-je en roulant des yeux.

- Donc, la seule chose qui vous empêchait de sortir était la barrière mentale instauré par votre père ! déduit le psychologue et je le dévisage brusquement.

Croit-il que ce soit aussi simple ?

Ma colère se dissipe en même temps que ce masque stoïque qu'il se force à garder

- Docteur Maurice, cette barrière mentale a été instauré par des coups de poings, de pieds, des heures et des heures de punitions, de tortures, de récit inutile de cette fichue bible... Pensez-vous pouvoir vous rebeller alors que votre corps est attaché de sorte à ce que vos pieds ne touchent plus le sol ? Je maintenais mon poids sur mes oreilles, nu comme un verre, frigorifié, souillé par le sang séché allant de mon dos, fouetté, jusqu'aux chevilles meurtries... La douleur, docteur, la peur, la souffrance peuvent instaurer des tas de barrières, croyez-moi !

Rancoeur du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant