Souvenir

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Mes sanglots secouent mon corps alors qu'aucun son ne traversent mes lèvres. Je ne pleurerais pas devant lui, je ne lui ferais pas ce plaisir. Le père Anton se rhabille sans un regard pour moi, et sort en ricanant. Ce n'est qu'à ce moment que je me laisse aller, lorsque je suis certaine qu'il est bien retourné dans sa chambre, sans arrêt devant la porte d'en face.

Difficilement, je me lève pour aller me laver. Il faut que j'enlève son odeur, sa sueur, tout ce qui reste de lui en moi. C'est écœurant, ça pue, et la douleur que je ressens est insoutenable. Quel horrible destin nous a-t-on attribué ? Je n'arrive pas à croire que cet endroit est pire que l'orphelinat. Dire que je trouvais la directrice cruelle...

Je comprends mieux son sourire diabolique alors que le prêtre est venu nous chercher. Je comprends mieux pourquoi cet homme isolé ne veux personne dans sa vie. Il nous a nous. Deux fillettes que personne ne viendra sauver. Des jouets pour ses plaisirs inavoués. Pourrais-je supporter ça encore longtemps ?

Oui... Je le dois. Tant qu'il ne touchera pas à Maya et qu'elle ne se doutera pas de ce qui se passe le soir venu, je supporterais tout. Elle pourra alors devenir une adulte épanouie, même si je suis brisée, moi. Jamais elle ne saura pour l'ordure chez qui nous vivons.

Encore une fois, le soleil se lève, et je guette le couloir et les venues du père. Il se lève tôt pour aller à l'église. Je m'occupe de faire à manger pour tout le monde. Maya joue souvent dehors, ignorant le danger perpétuel dont je la protège en la collant toute la journée. Elle ne s'en plaint pas, sourit tout le temps, et pour ça, je peux tout supporter.

Le ménage terminé, je regarde cette porte toujours close. Celle de la cave. Je me souviens avoir posé la question de ce qui se trouvait là en dessous. Et le père s'est mis dans une colère noire. Il m'a giflé devant ma sœur en nous menaçant de nous perdre dans la forêt si une de nous deux descend en bas.

Je me demande si les bois ne seraient pas plus sûrs pour nous deux. Et puis, c'est l'été, nous n'aurons pas froid. Je cueillerais des fruits pour nos repas. Nous serions libres... Ma stupidité me fait sourire. Deux enfants abandonnées... Mais heureuse. C'est ridicule.

Je profite de l'absence du prêtre pour faire une sieste avec ma sœur. Du moins, je la force à rester avec moi. J'ai besoin de repose pour ces nuits blanches à la surveiller. Combien de temps pourrais-je encore le faire. J'ai peur de m'assoupir, un soir, et laisser le père Anton faire à Maya ce qu'il me fait. Elle ne survirait pas, la pauvre, elle serait détruite.

Je ne laisserais pas ça se produire. S'il ose la toucher, alors, je le tuerais dans son sommeil. Je le brûlerais vivant. Tant pis si je dois y rester également. Il mourra pour l'avoir fait souffrir. La journée passe, le soir pointe le bout de son nez, et la peur s'éveille dans mes entrailles. Je sais ce qui m'attend la nuit venue.

Le père est là, il regarde ma sœur avec ces yeux horribles, ceux qu'il a quand il entre dans ma chambre la nuit venue. Je fais en sorte de la faire sortir de la pièce, tous les prétextes sont bons, je ne sais simplement pas combien de temps ça va marcher.

- Ne fais pas ta maligne, petite, j'ai le pouvoir absolu sur vous deux !

Claque l'homme de Dieux alors que nous sommes seuls. Je le regarde, il déteste que je le regarde dans les yeux, il dit que je suis une femme maintenant, et que je dois le respecter en tant qu'homme. Qu'il est le maître et que je suis sa chose. Le pervers s'approche de moi et me prends violemment le visage pas le menton, ça fait mal, mais je ne dis rien.

- Tu n'arrêteras donc jamais de me provoquer, petite garce... Profite de ce moment, stupide fille, ce soir, je te montrerais comment me respecter.

Il me lâche et me repousse ce qui me fait tituber et tomber sur les fesses. Cela le fait sourire alors qu'il disparaît dans les escaliers, s'enfermant dans son bureau. Je sais qu'il va nous demander de nous coucher encore un peu et il descendra dans la cave pendant deux heures. Ce n'est que dans la nuit qu'il entre dans ma chambre, exciter comme le porc qu'il est.

Maya est dans le jardin alors qu'il fait sombre, elle regarde un endroit au début des bois, cela m'inquiète. Je tente de voir ce qu'elle voit mais à part la nuit, il n'y a rien. Lentement, elle me prend la main. Ensuite, elle me chuchote comme si elle me disait un secret.

- Tu sais, là-bas, il y a des choses bizarres... Comme des os... Mais pas ceux du poulet qu'on mange. Des grand... Comme les miens.

Horrifiée, je m'agenouille et la sers dans mes bras. Des os ? Elle doit se tromper. Chose dont je doute fortement. Maya compare souvent son corps à celui des animaux. La carcasse de poulet a fait l'objet d'une analyse détaillée. Regarde la cuisse, Marie, la mienne est plus grande. Regarde l'aile, moi j'ai des doigts. Ces côtes sont toutes petites...

- Tu es sure, Maya ? N'est pas plutôt des morceaux de bois.

- Tu ne me crois pas ? se plaint-elle. Je ne te mens pas, Marie, tu as dit que le mensonge entre sœur était mal.

- Je te crois ! Je te crois... Allons-nous coucher maintenant.

- Je peux dormir avec toi ? demande-t-elle et la peur me glace le sang.

J'imagine le père venir dans ma chambre, la voir là, et j'entends sa voix aussi claire que l'original. Deux pour le prix d'une, je vais me régaler... Je tente de sourire et de paraitre moqueuse alors que je l'entraine dans la demeure.

- Tu es une grande fille maintenant, allé, au lit.

Assise, j'attends. Il est bientôt trois heures du matin, le sommeil me menace depuis trop longtemps, je sens que je vais craquer. Il est en retard. Une idée horrible me traverse l'esprit, et le sommeil disparaît. Peut-être qu'il est dans sa chambre à elle ? D'un bond, je me lève et saute jusqu'à la porte pour ensuite faire le moindre de bruit possible alors que je regarde dans le couloir s'il n'y a personne.

Il y a en face, la porte close de la chambre de Maya, j'écoute s'il y a du bruit, rien. Doucement, je m'approche pour l'ouvrir et passer ma tête dans la pièce. Maya dort dans un coin du lit, il n'y a personne. Le soulagement m'envahit, il n'est pas allé la voir. Il a dû aller dormir, trop épuisé pour jouer. Cependant, un bruit venant d'en bas m'irise les poils du corps. Il est là...

Il remonte de la cave. Que faisait-il là tout ce temps. Je l'entends tousser et je me précipite dans ma chambre, me recouche, le cœur battant douloureusement. Silencieuse, j'écoute le bruit de ses pas... Il ne vient pas. Cela me donne envie de pleurer de joie. Il ne vient pas me faire mal, ce soir, il est parti dans sa chambre.

Les larmes dévalent mes joues alors que je fixe encore la porte, épiant chaque bruit que j'entendrais. Il pourrait changer d'avis. Ou pire, aller dans la chambre d'en face. Je ne peux pas dormir... Elle serait en danger. Je passe encore une nuit blanche, oubliant tout le reste, parce qu'il n'y a qu'une chose qui me fait peur... Qu'il s'en prenne à Maya.

Rancoeur du passéWhere stories live. Discover now