Chapitre 37

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On ignore combien il est difficile de se parler, de se comprendre, de savoir dissocier nos émotions, les classer, les nommer. J'envie ceux qui disent pouvoir le faire, pour moi c'est complètement incompréhensible. J'ai beau fermer les yeux, me concentrer sur moi-même, essayer d'entendre... il n'y a que le néant. Comme si Marie, jusque-là forcée au mutisme, ne savait plus communiquer.

Elle a oubliée... parce que j'ai tout fait pour que cela se fasse.

Les jours passent, je me remémore de manière mécanique désormais les sombres souvenirs que je garde de la ferme, le psy écoute attentivement, prend des notes, mais il ne semble pas satisfait. Son expression affiche plus de l'agacement qu'autre chose, comme s'il ne me croyait pas, comme s'il savait certaines anecdotes, et je commence à perdre patience.

Je ne sais pas ce qu'il veut de plus, je me livre, je fais des efforts, et Dieu sait combien il m'est difficile de mentionner certains points humiliants, la peur toujours présente, le dégout de soi, l'estime depuis longtemps envolé, je fais de mon mieux, pourtant ça ne suffit pas. Quand le docteur Maurice détourne la tête pour souffler sans gêne, je m'indigne et croise les bras en relevant le menton pour le foudroyer du regard.

Pour qui se prend-t-il ?

- Je n'ai pas besoin d'une histoire, Lyse, je veux des ressentis, explique-t-il sans remord.

- Des ressentis ? Il n'y en a pas assez quand je parle des horreurs que j'ai subie !? Ma souffrance est plus qu'évident, je m'étrangle rien qu'en mentionnant le nom du père, et pour vous ce n'est pas assez... émotionnel ? m'énervé-je.

- Non, ose-t-il répondre, ce que j'entends, moi, c'est un discours sur la folie humaine ! Lyse, arrêtez de parler en tant que spectateur, laissez-vous aller à la douleur, c'est en l'affrontant que vous trouverez la force de la surmonter.

- La douleur ? répété-je ahurie, je me lève d'un bond, hors de moi. La douleur est constante, docteur ! Elle est là chaque jour depuis que je suis Lyse ! Elle est là quand je me lève aux côtés d'Alexandre, que le brouillard du réveil me laisse un instant de répit avant que l'image de Maya me revienne en tête. Elle est là quand je mange, qu'avaler me devient difficile tant je trouve injuste de pouvoir le faire encore, alors que, elle, non. Elle est là quand je me regarde dans le miroir, que je vois une femme... Une femme qui a grandi trop vite pour se protéger... Elle est là quand je touche ma peau, que je frissonne, parce que mes cicatrices sont encore sensibles, et je les sens ! je sens chacune d'elles comme un rappel à ce que j'ai fuis, ce que j'ai abandonné.

- Et vous vous obstinez à voir tout ça à travers les yeux de Lyse, cette personne que vous avez créé de toute pièce, espérant pouvoir taire la douleur qui persiste...

- Je vous emmerde ! claqué-je le souffle court.

Mes mains tremblent, mon ventre se noue avec regret parce qu'il a raison, je le sais. Honteusement, je baisse la tête, et me rassois docilement. Cela pourrait être risible, car après tout ce temps à jouer la comédie, je ne sais plus comment me sortir de ce rôle, celui de Lyse.

Le psy semble avoir changé de tactique d'approche, il est plus agressif, tellement agressif dans ses gestes, son ton habituellement doux et compréhensif, son regard distant, que ça me perturbe. Je comprends que le docteur Maurice tente de me pousser à bout, mais je n'aime le ton dans sa voix, cette accusation, ce jugement qui persiste... ou alors, il sait une chose que je ne sais pas, d'où cette hâte soudaine.

- Lyse, je ne tiens pas à vous mettre en colère, cependant, vous refusez de comprendre et... nous n'avons plus le temps espéré.

Quoi ?

Rancoeur du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant