10- Vingt

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Les deux jours suivants passèrent à une vitesse folle aux yeux de Rosa. Avec Jason, elle multipliait les randonnées à travers les bois et ils allèrent même une fois à un restaurant rapide du coin. Ils appelèrent chacun leurs parents respectifs et Rosa eut un peu de mal à leur mentir. Elle devait inventer des choses sur l'internat de France et elle et Jason s'étaient accordés sur leur récit pour ne pas commettre d'incohérences.

Quand le jour du départ arriva, Rosa avait finit par trouver sa place dans cette maisonette et elle s'était un peu habituée à la présence de Jason à ses côtés, même si par moments, une incroyable envie de le frapper lui prenait.

Ils laissèrent le chalet et Jason lui expliqua qu'il avait payé le propriétaire avant de venir. Ils rangèrent leurs bagages dans la voiture en piteux état et au moment de démarrer, Rosa questionna :

— On va où, maintenant ?

— Pas très très loin, répondit Jason sans donner plus de détails.

Contrairement à leur précédent trajet, ils discutèrent davantage, sans jamais évoquer les sujets fâcheux.

— Pourquoi tu as écrit vingt rêves ? interrogea Jason.

— Je voulais un chiffre rond, se justifia Rosa.

Jason était déçu.

— T'aurais pu trouver plus poétique ou plus romantique, il remarqua. Je pensais que c'était en rapport avec le jour de notre première rencontre.

Rosa, choquée et impressionnée se retourna vers lui.

— Tu te souviens que c'était un vingt ? Même moi je n'en savais rien. Nous n'avions même pas trois ans quand nous nous sommes rencontrés, et pour être franche, je n'en ai aucun souvenir.

— Non, ça, ça compte pas ! la contredit Jason. Je pissais dans mes couches et je pleurais comme un dépressif à cette époque donc ça ne compte pas. La première fois que je t'ai vraiment rencontrée, c'était un vingt novembre. Nous avions huit ans, j'étais déjà une daube en maths et tu étais déjà une sacrée intello ! Je ne comprenais rien à un petit contrôle de rien du tout et tu étais à côté de moi. Tu voyais que j'étais en galère, alors pour la première et unique fois de ta vie, tu as aidé quelqu'un à tricher. Tu m'as discrètement donné les réponses et j'ai réussi à décrocher un smiley vert. Depuis ce jour, je ne te vois plus comme une petite madame-je-sais-tout égoïste et sans sentiments.

Rosa n'en revenait pas. Elle-même avait presque oublié ce jour-là et les images qu'elle en gardait étaient floues et peu fiables. Elle regarda Jason, ébahie, et ce dernier éclata de rire.

— Tu croyais vraiment que j'avais zappé un moment aussi fatidique de mon existence ? demanda-t-il avec un sourire.

— Oui, avoua Rosa. Moi, je l'avais oublié. Mais comment tu t'es souvenu que c'était un vingt novembre ? Quand j'étais petite, je n'avais aucune notion du temps.

Jason prit un air coupable.

— En réalité, j'ai dû chercher dans tous mes vieux cahiers de primaire ce fameux contrôle et après des heures de galère, je l'ai retrouvé. J'avais inscrit la date dessus.

Rosa gloussa et même si elle savait que la date ne lui était pas revenue naturellement, elle fut touchée par cette petite attention. Comme quoi, des petites choses que l'on pense parfois stupides peuvent avoir leur importance dans certaines circonstances.

Jason alluma la radio pour mettre un peu d'ambiance à leur voyage et mit la radio préférée de Rosa, même s'il la détestait à cause de ses chansons niaises. Il la taquina d'ailleurs à ce sujet :

— Comment tu fais pour écouter des chansons avec des paroles aussi puériles ?

— Tu comprendras quand tu seras une fille, répondit Rosa avec distance.

Jason marmonna qu'il espérait que ce jour arrive autant qu'il espérait que la faille de San Andreas se réveille. Après un court silence, Rosa trouva une petite remarque à faire à Jason.

— Tu crois pas que c'est pas niais ce que t'es en train de faire ? Tu m'as embarquée avec toi pour six mois, tu vas exaucer mes vingt rêves et tu as abandonné ta famille, tes amis et ton équipe de foot pour moi, afin de te faire pardonner. Si c'est pas du romantisme, je sais pas comment appeler ça !

— C'est du romantisme revendiqué, répondit Jason très sérieusement. Je reconnais que parfois, nous avons besoin d'un peu de niaiseries dans nos vies pour les rendre meilleures. C'est pas pour rien que pas mal de gens dédaignent les films romantiques. Souvent, dans 75% des cas, les deux amoureux du film finissent ensemble et heureux jusqu'à la fin des temps, alors que dans la vraie vie, on ne finit pas "ensemble et heureux jusqu'à la fin des temps". Les films romantiques font idéaliser aux gens une vie qu'ils ne vivront jamais et ne font que les enfoncer encore plus dans leur vie merdique et dénuée de magie. Moi, je veux te faire vivre un film romantique, même si la scène d'ouverture n'est pas très guimauve.

Your Dreams [TERMINÉ]Where stories live. Discover now