27- Maudite pluie

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Avant de démarrer la voiture, Rosa avait versé un joli torrent de larmes. Elle serrait le volant entre ses mains comme une bouée de sauvetage et n'osait pas tourner la clé pour enclencher le moteur. Pourtant il fallait qu'elle parte. Qu'elle rentre chez elle, en Californie, loin de Jason. Elle avait juste à inventer un truc sur la mauvaise ambiance du lycée français ou sur le fait que sa famille lui manquait trop. Même s'ils ne seraient guère contents, ses parents finiraient par se faire à l'idée et ils laisseraient Rosa tranquille.

Désormais, c'était elle qui avait les cartes en mains. En théorie, elle les avaient toujours eues. Si elle n'avait pas stupidement répondu à la lettre de Jason, jamais elle ne se serait retrouvée embarquée dans de tels problèmes. Certes, Jason lui avait fait vivre six de ses rêves en l'emmenant jusqu'ici et elle ne doutait pas sur sa capacité à réaliser les quartorze autres, mais au fond, elle ne voulait peut-être pas être avec lui.

Elle ne pouvait nier qu'elle éprouvait une certaine affection envers lui. Pas un amour ardent, mais un sentiment d'attachement. Elle l'aimait d'une certaine manière, mais pas de celle que Jason attendait. Il n'était même pas un ami. Rosa avait toujours trouvé qu'être amie avec l'un de ses anciens amants était ridicule. Elle ne savait même pas comment le qualifier. Le terme "d'ex" ne correspondait pas à l'image qu'elle se faisait de ce mot. Il sonnait trop brut à ses oreilles. Mais le mot ami semblait trop doux. Elle tâcha d'inventer un mot qui collerait bien à Jason et trouva celui-ci : un ami-ex.

Ce n'était pas un ami, pas plus que c'était un ennemi. Mais en y réfléchissant bien, elle ne lui vouait pas une haine si terrible que ça. C'était davantage une rancoeur qu'une haine. Elle lui en voulait. C'est tout. Peut-être qu'un jour elle serait capable de vaincre cette haine, mais ce jour n'était pas encore arrivé.

Elle finit par démarrer la voiture mais à peine fit-elle quelques mètres qu'elle fut prise d'un horrible sanglot. Elle lâcha alors le volant et la voiture se retrouva écrasée contre un mur. Rosa sortit de l'habitacle en pleurant de plus belle et pile à cet instant, une averse éclata.

Rosa donna des coups de pieds dans la voiture en jurant des insultes adressées à personne en particulier. À la voiture peut-être. À la pluie. À elle. À Jason.

Elle resta dehors pendant plus d'une heure, incapable de former une pensée cohérente. Elle restait devant cette voiture hors d'usage, sous la pluie, ne faisant pas attention aux quelques voitures qui passaient près d'elle ou lui klaxonaient. Rosa ne pensait plus à rien. Elle ne pensait même pas à Jason ou à la pluie qui dégoulinait sur elle. Elle fixait le sol, figée.

Elle se serait peut-être laissée pourir ici si Jason n'était pas venu la chercher. Il était sorti pour descendre une poubelle et avait remarqué Rosa au bout de la rue. Il avait accourut vers elle et l'avait attrapée par les épaules.

- Rosa ?! lui criait-il à présent par dessus le bruit de la pluie qui s'écrasait sur le sol et sur les toits. Rosa, qu'est-ce que tu fais ?!

Il ne comprenait pas pourquoi elle restait ainsi à se mouiller sous la pluie, sans rien faire d'autre que de rester immobile. Il la secoua légèrement et Rosa leva enfin subitement les yeux vers lui. Ils se fixèrent droit dans les yeux pendant plusieurs secondes, d'un regard qui n'avait pas besoin de mots pour être compris.

- On est aussi idiots l'un que l'autre, finit par murmurer Rosa.

C'est à peine si on pouvait l'entendre par dessus le bruit de la pluie, mais Jason ne voyait et n'entendait qu'elle.

- Toi, continua Rosa, t'es le plus idiot des idiots parce que tu crois qu'il suffit de m'emmener au bout du monde pour te faire pardonner d'une erreur aussi débile que celle que tu as faite. Mais moi, je suis encore plus idiote d'avoir écrasé cette bagnole dans un mur car j'étais tourmentée d'éprouver des sentiments aussi contradictoires pour un connard comme toi.

L'eau tombait, meublant le manque de paroles de Jason. Au loin, on entendait des bruits de moteurs mais Jason et Rosa n'y faisaient nullement attention. C'était juste eux.

- Je t'aime encore, finit par déclarer Jason à haute voix. Je t'aime encore et je n'ai jamais cessé de t'aimer. Même quand j'étais avec Bex, je t'aimais encore. Et même si tu ne veux pas me croire, même si tu me détestes, je t'aimerai jusqu'à ce que la mort me prive de mes sentiments.

Il laissa un silence passer pour souligner ses propos.

- Notre histoire n'est pas morte, Rosa. Je le sais. Ne me dis pas le contraire. Elle n'est pas morte car même si cette voiture est explosée dans un mur, t'aurais pû partir. T'aurais pû prendre ta valise et prendre le métro pour t'enfuir d'ici, t'enfuir loin de moi. Mais tu ne l'as pas fait. Alors même si je suis le plus crétin des romantiques, je veux croire qu'une partie de toi aime encore une partie de moi. Si j'ai tort, si je dis n'importe quoi, alors pars maintenant. Rentre en Californie ou va en Écosse enveler la poussière des bibelots des châteaux. Si j'ai raison, alors reste et laisse moi une dernière chance de te prouver que notre histoire n'est pas morte. C'est toi qui décide.

Partir ou rester.

Tel était le dilemme de Rosa. Si elle partait, comme elle l'avait envisager lorsqu'elle avait quitté l'hôtel, alors ce serait terminé. Ce serait officiellement mort. Ce serait peut-être le choix de la raison. Le juste choix. Celui de son cerveau.

Mais si elle restait, alors il y avait encore une chance. Tout n'était pas mort. Ce serait le choix des sentiments. Car elle avait beau se voiler la face et essayer de se convaincre que Jason est un abruti sans cervelle et dénué de toute forme d'intelligence, elle aimait encore quelque chose chez Jason. Elle ne l'aimait pas comme avant, mais peu importe. Elle l'aimait d'une certaine manière. Ce serait le choix le plus irrationnel. Celui de son coeur. Le coeur est irrationnel.

Le cerveau de Rosa devait l'être aussi, irrationnel. Car c'est lui qui la poussa à ouvrir le coffre de la voiture, à en sortir sa valise et à se diriger vers l'hôtel d'un pas décidé.

À cet instant, Rosa se dit que la pluie avait peut-être joué un rôle dans sa décision. Peut-être que si le temps avait été plus clément, Rosa aurait sûrement eu le courage de partir à pied, sans risquer de glisser par terre ou d'arriver à la gare trempée, telle une clocharde. Maudite pluie.

Your Dreams [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant