6. Plan « emmerdes » mis en marche !

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À Noël, s'il y a quelque chose qui me rend tout le temps nostalgique de mon enfance, ce sont bien les carrousels. Avec leurs chevaux, leur style ancien, leur musique et leurs nombreuses illuminations, c'est vraiment magique.

— Oh regarde ! s'exclame Émile qui a repéré un chalet qui lui plaît alors que je n'ai d'yeux que pour le chef d'œuvre à quelques pas de moi.

Parfois, on pourrait se demander qui est l'aîné parmi nous deux, surtout quand mon frère se met à courir comme un déterré vers le stand de son choix. Mais que voulez-vous, tout le monde sait que les hommes murissent moins vite que les femmes...

— C'est joli.

Il ne me faut pas longtemps pour me rendre compte que c'est ma moche-mère qui vient de parler. Comme si j'étais sa pote (genre !), voilà qu'elle vient de s'arrêter à côté de moi et qu'elle fixe mon manège.

— J'ai toujours trouvé que le carrousel avait quelque chose de nostalgique.

Non mais quelle sorcière ! Elle peut même lire dans mes pensées cette garce ! J'y crois pas quoi.

— Bof, j'trouve pas ça si sensationnel que ça. Ce doit être parce que je ne suis pas de l'avant-guerre, moi.

Et hop, je lui rappelle que je ne suis pas son amie et que je n'ai pas envie qu'elle vienne me faire chier. Seulement le dragon ne semble pas saisir, comme d'habitude, puisqu'il continue :

— Que dirais-tu d'aller faire le tour des boutiques toi et moi ?

J'ai envie de refuser, sauf que je n'ai pas encore trouvé de cadeau pour mon père, ni même pour Émile et que je ne veux pas me retrouver à ne rien pouvoir mettre sous le sapin. J'ai même pris mon argent de poche. Bertrand était chiant parfois, mais il me mettait trente euros toutes les semaines sur mon compte si bien que maintenant, j'ai une jolie petite somme avec moi. Bah oui, je sais faire des économies, qu'est-ce que vous croyez ?

— D'accord.

Angelina la voleuse semble surprise puisqu'elle me regarde en fronçant les sourcils. J'ai envie de lui dire que prendre ce genre d'expression ne fera qu'accélérer l'arrivée de ses rides, mais parce que j'ai besoin d'elle pour mes courses de Noël, je décide de me taire.

— Génial, s'écrie-t-elle ensuite.

Bon ça va, ne surjoue pas trop non plus. On dirait que l'on vient de t'annoncer que t'as gagné au loto.

Tout en traînant des godasses, je suis ma moche-mère après que cette dernière a prévenu mon père que l'on allait faire un tour entre filles. Avec son long manteau beige bordé de fourrure ou de fausse-fourrure je l'ignore et je m'en fous, on dirait qu'elle se prend pour la Mère Noël. Encore heureux que son vêtement ne soit pas rouge.

It's beginning to look a lot like Christmas est diffusé à travers les haut-parleurs de la ruelle. Les gens sourient. Les enfants courent dans tous les sens pour aller regarder les vitrines. Les couples, familles ou amis se promènent avec leurs grandes poches de shopping. On se croirait presque dans un film de science fiction dans lequel on a supprimé toutes les déficiences ou tout simplement les défauts des humains pour rendre l'utopie réelle. C'est flippant.

Parce que je commence à perdre de vue Angelina la voleuse, j'accélère. Elle pourrait au moins vérifier que je la suive. J'aurais même pu faire style je me perds, rien que pour que papa et elle s'engueulent... Oh mais après tout, j'avais besoin d'elle pour m'éloigner de mon père et de mon frère. Alors maintenant que c'est fait, je peux faire mon shopping toute seule ! C'est parfait...

Sans plus attendre, je dévie pour rentrer dans le premier magasin que je vois. Il s'agit d'un commerce d'objets souvenirs ou des trucs du genre. J'avais pensé à acheter des vêtements pour ma famille, mais je me rends compte que je ne connais la taille d'aucun des deux. Puis les chemises sont chères de nos jours.

Je ne suis pas très grande, je suis encore en pleine croissance, alors c'est plutôt difficile de voir sur le haut des étagères. Et il y a tellement de gens ici que l'on a l'impression d'étouffer. C'est dingue, est-ce que toutes ces personnes sont aussi à la recherche de cadeaux ?

Quelques minutes plus tard, je tombe tout de même sur un truc intéressant. C'est une boule à neige et je crois qu'elle est personnalisable puisqu'il y a l'emplacement prévu pour y mettre une photo. Je pense que je vais l'acheter pour mon père puis je mettrai un cliché de nous trois. Je suis certaine que ça lui fera plaisir.

Très bien, il ne me reste plus qu'à trouver quelque chose pour Émile désormais. Puis ensuite, je prendrai peut-être une bricole pour Mélissa. C'est le premier Noël que je vais passer ici depuis longtemps et le premier Noël que Mel et moi passons en étant amies.

J'attrape mon portable pour regarder quelle heure il est, puis souffle un bon coup. J'ai encore des choses à faire. Je n'ai pas de temps à perdre. C'est après avoir récupéré mon présent dans une petite poche en plastique, car le vendeur n'avait rien pour emballer la boule à neige, que je ressors du magasin. C'est dingue, on dirait que la ruelle s'est encore plus remplie.

J'ai rarement traîné seule en ville. Non, en fait je n'ai jamais traîné seule en ville pour être exacte, alors je ne connais pas trop le coin. La dernière fois que je suis venue ici, je devais avoir sept ans. Hormis pour faire les courses, on ne quitte pas vraiment Bignoux et le magasin où nous nous rendons n'est pas dans le centre-ville. Apparemment ici, c'est plus cher. Une chose est certaine, papa n'a pas vu les prix des magasins parisiens !

Je décide de continuer l'allée. Les mains dans les poches de mon blouson, mon menton recouvert par la grosse écharpe que mon père a voulu que je mette pour ne pas attraper froid et le front lui aussi caché, mais par mon bonnet cette fois-ci, je suis la foule.

***

Deux heures plus tard, adossée contre le mur d'un bâtiment, j'aperçois mon père au loin. Il regarde partout autour de lui, le visage inquiet puis quand il me voit, il court dans ma direction. Maintenant, il semble en colère. Je l'ai appelé il y a dix minutes, quand je me suis rendu compte que je ne retrouvais pas mon chemin pour regagner la place Maréchal-Leclerc. Avant de le contacter, j'ai tourné en rond dans plein de petites ruelles. C'est vrai que je me suis fait quelques frayeurs, surtout quand il y a eu cet homme SDF qui m'a accostée. Je crois qu'il était saoul. Il a même balancé sa bière à côté de moi.

— Comment as-tu pu désobéir ainsi ? me gronde-t-il pendant qu'il vérifie que je ne sois pas blessée.

Le dragon et Émile arrivent à leur tour.

— Je n'ai pas désobéi. J'ai perdu Angelina de vue !

Je n'aime pas mentir. Mais là, il est hors de question que j'avoue que j'ai fait exprès de disparaître pour que mon père et elle se fâchent. D'ailleurs, d'après le visage des deux concernés, je devine que mon plan a fonctionné. On dirait que ma moche-mère a pris dix ans tellement son visage est figé et pâle.

Émile, les bras croisés, me regarde en secouant de droite à gauche la tête.

— Je vous ai acheté des cadeaux, lancé-je en montrant mes poches.

Ma réplique semble plus les agacer que leur faire plaisir. Bon, je reconnais que ce n'était pas une très bonne idée de partir comme ça. Mon père et mon frère ont dû angoisser.

— Tu vois, comme je disais, si tu avais vraiment surveillé Madeleine, vous ne vous seriez pas perdues de vue !

Tandis que mon père se tourne vers Angelina la voleuse pour lui remonter les bretelles, mon frère me rejoint.

— T'as vraiment été vache pour ce coup-là mini-pouce, souffle-t-il dans mon oreille.

Même si au final j'ai eu ce que je voulais, la dispute et les cadeaux, je crois que je ne suis pas vraiment contente. La dernière fois que j'ai vu mon père aussi stressé et énervé, c'était le jour de sa séparation avec ma mère.

Je ravale difficilement ma salive.

En fait, je ne suis pas mieux que les gens que je critique car moi aussi, je fais du mal à mon père. Je renifle et les lèvres pincées pour retenir les sanglots qui cherchent à sortir de ma bouche, je suis silencieusement la famille.

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NDA : En média, Émile comme je l'imagine plus ou moins 😊

Près de toi 1 - Madeleine Petit (Terminée)Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora