10. Si la vie était un musical

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Parfois, une simple phrase suffit pour que les gens ne te regardent plus comme avant.

Depuis l'épisode du self, je crois que les lycéens ont un peu changé d'opinion à propos de Gontan truc muche. Si au départ il paraissait être le nouvel élève mystérieux sur qui on inventait quelques rumeurs, désormais c'est le petit rebelle et le premier sujet de discussion dont on parle dans la cour.

De ce que j'ai pu observer, les filles semblent encore plus folles du chieur et font tout pour se faire remarquer de celui-ci. Certaines, qui se sont persuadées qu'il était de l'autre bord, se sont mis en tête de devenir la meilleure amie du gay. Parce que, je cite « le GBF, c'est trop à la mode ! ». Ouah, cris hystériques de poupées sans cervelles.

En tout cas, moi, ce que j'ai remarqué, c'est que personne n'a vraiment écouté ce qu'il avait dit. Parce qu'à moins que j'ai un problème de compréhension, le nouveau n'a pas fait de coming-out. Pas plus qu'il a dit vouloir une horde de filles à ses pieds pour savoir laquelle pourrait faire l'honneur de passer dans sa piaule. Et il a encore moins dit vouloir sortir avec Justine ou Enzo. Il a seulement répondu par la provocation pour lancer une bagarre et il devait certainement avoir les boules quand il a compris qu'il avait fait tout cela pour rien.

C'est ballot tu me diras, le chieur.

Seulement les gens réagissent comme s'ils avaient désormais un Dieu, ou un ennemi, surtout pour les mecs qui se sentent menacés, ici dans l'enceinte du lycée. Personnellement, je trouve cela un peu démesuré. Pourquoi accorder autant d'importance à une personne ? Le gars au tee-shirt de geek que j'ai croisé dans le couloir de français il y a deux heures n'est-il pas tout autant intéressant ? N'existe-t-il pas de choses plus importantes que de croiser le nouveau rebelle ? L'injustice, la famine, les inégalités sexuelles et territoriales, la cause animale, la pollution, qu'est-ce qu'on en fait de tout ça ?

Des fois, je me demande comment réfléchissent les gens. Puis je me dis ensuite que c'est probable que d'autres personnes pensent la même chose de moi. Enfin du mois j'ose espérer.

— La semaine n'est pas finie que je suis déjà claquée, soupire une terminale en passant à côté de moi.

En effet, nous sommes jeudi et tandis que j'attends Mélissa qui est allée demander je ne sais plus quoi à l'accueil, j'observe les gens. Suis-je comme eux, à toujours être sur mon portable ? À parler des autres à voix basses puis sourire faussement une fois face aux concernés ? Pour la première proposition, je pense l'être. Pour la seconde, je l'espère vraiment pas.

Parce que j'en ai marre d'attendre et d'entendre surtout le bourdonnement des conversations, j'attrape mon téléphone ainsi que mes écouteurs. Quelques secondes plus tard, je me suis déconnectée de tout ce petit monde. Comme d'habitude, un morceau de musical débute. Cette fois-ci, il s'agit de Don't Rain On My Parade de Funny Girl. Alors que la plupart des lycéens écoutent les derniers hits à la radio, moi, je savoure d'autres genres de morceaux : Defying Gravity, Chicago, Cats, les Misérables, The Phantom of the Opera, Funny Girl, Annie, Hair, West Side Story, toutes des comédies musicales qui m'inspirent et me donnent ou redonnent le moral.

C'est dingue comment les gens paraissent différents suivant la musique que nous écoutons. Ce groupe d'amis par exemple qui rigolent et dont deux parmi eux se coursent, ressemblent soudainement à une troupe de clowns. Le couple sur ma gauche qui se bécote me donne l'impression d'être sur un quai de gare. J'imagine la scène, béret sur la tête, long manteau sur le dos, valise à la main, la locomotive crachant sa fumée, la nuit commençant à tomber, tout le monde autour de moi se presse et alors que je devrais faire de même, mon regard ne peut s'empêcher de se poser sur ces deux amoureux qui me rappellent l'unique homme de ma vie, l'amour que j'ai perdu quelques mois plus tôt. Soudainement les gens autour de moi commencent à adopter mon rythme de marche et tandis que je lâche les premiers vers, la musique s'invite à son tour pour m'accompagner.

Ah, si seulement la vie était un musical... Au lieu de cela, elle craint un max et je suis obligée de l'imaginer autrement pour ne pas avoir le cafard. Tiens donc, que m'arrive-t-il aujourd'hui ? J'ai l'impression que mon cerveau est en mode zarbi.

Tandis que Aquarius de Hair me fait désormais remuer la tête, je suis bousculée. Qui ose venir interrompre mon moment musique alors que je suis sagement installée contre le mur ?

Et bien il s'agit de Gontan truc muche qui, il semblerait, ait quelques problèmes d'évaluation des distances. Il lève automatiquement la main en signe d'excuse et à ma plus grande surprise, finit même par me sourire quand il réalise que c'est moi, Madeleine, qu'il a dérangé.

Je suis tellement sur le cul qu'il fasse comme si nous étions des quasi-amis que je ne trouve rien à lui dire. Les écouteurs toujours dans les oreilles, je le regarde s'éloigner, les mains dans les poches de son pantalon. Ce gars a le physique et la mentalité pour jouer le mauvais garçon dans une comédie musicale rock. Je me demande s'il chante bien ? Attendez, pourquoi est-ce que j'en suis arrivée à me poser unetelle question ? Décidément, aujourd'hui, je débloque !

Heureusement, Mélissa réapparaît quelques secondes plus tard. Elle m'explique qu'elle a dû attendre que l'on trouve tous les renseignements qu'elle demandait et que la personne était vraiment lente dans sa recherche. Puis bras dessus bras dessous, nous quittons l'endroit qui nous retenait jusqu'à maintenant.

— Tu ne devineras jamais qui était à la CPE aussi ! dit-elle tandis que nous évitons un élève qui nous fonçait droit dessus, la tête dans les nuages.

— Le nouveau.

Sa mine déçue me donne envie de rire. Mélissa était certaine de son effet de surprise. La pauvre. Peut-être aurais-je dû jouer la comédie ? Ça marche toujours avec elle. Faire du théâtre depuis des années peut s'avérer utile.

— Mais comment est-ce que tu...

— Il m'est rentré dedans comme un idiot juste deux minutes avant que tu n'arrives.

— Ah... En tout cas, j'ai entendu dire qu'il avait un bon motif pour rater les séances de sport et ce, pour le reste de l'année. Tu te rends compte ? La chance !

Quelle excuse pouvons-nous trouver pour échapper aux cours d'éducation sportive ? Tout d'abord il sort du lycée comme les premières et terminales, provoque Enzo et maintenant il évite même une discipline ? Est-ce que ce mec est vraiment humain ? Je vais peut-être finir par y croire à cette histoire comme quoi il est le fils d'une personne haut placée et riche...

— Au fait, tant que j'y pense, ma mère voulait savoir si ton père pourrait amener des œufs de la ferme quand il viendra te récupérer ce week-end. Bien évidemment, on le paiera, comme toujours. Tu sais que mes parents raffolent des produits de chez toi, ils disent qu'ils n'ont pas le même goût que ceux que l'on trouve en ville.

Je soupire. Sans le vouloir, mon amie vient de me refaire penser à mon chauffeur de ce week-end.

— En fait, ce n'est pas mon père qui viendra me récupérer dimanche matin mais Angelina la voleuse.

J'ai beau souhaiter pratiquement tous les soirs qu'elle nous laisse enfin tranquilles, ma famille et moi, mon vœu n'est pas exaucé. En même temps, quand on est une mauvaise herbe, on est plutôt coriace je crois bien. Offrir cette boule à neige à papa pour Noël avec une photo de nous trois uniquement n'était peut-être pas assez clair comme message... Il ne faut pas oublier que le dragon est beau de l'extérieur mais laid à l'intérieur et surtout bête !

Si je me centre uniquement sur ma moche-mère pour le moment, c'est parce que Sacha alias l'ensorceleuse est partie pour une « semaine de formation professionnelle », d'après ce que j'ai compris. Alors tant que je ne vois pas cette dernière dans les parages, je n'ai pas à casser du sucre dans son dos. Après tout je ne déteste pas ces femmes sans raison. Si elles étaient restées éloignées de mon père et de mon frère, je pourrais peut-être même les apprécier. C'est vrai que c'est plus que probable que je ne les connaîtrais pas dans ce cas-là mais bon... Vous comprenez ce que je veux dire.

Allez, on oublie les conflits familiaux, on oublie le chieur, on oublie les mauvaises ondes et on pense à des choses positives. Mon week-end avec Mel, mes musiques, la bonne note que j'ai eue en physique (contre toute attente puisque je pensais m'être ratée). Allez, on peut le faire. Ne reste plus que demain et après, c'est la libération. Du moins pour deux jours, avant que l'on ne soit obligé de retourner en prison.

Tant pis, finie la séance détente. Les pensées positives de toute façon, ça n'a jamais marché avec moi.

Près de toi 1 - Madeleine Petit (Terminée)Where stories live. Discover now