32. Lui laisser sa chance

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Très souvent, ce sont les personnes les plus souriantes qui souffrent le plus. Parce qu'elles savent cacher la vérité et faire croire aux autres qu'elles vont bien, alors peut-être qu'au fond d'elles, elles arrivent à se persuader que c'est le cas, jusqu'à ce que leur masque s'effrite, et qu'il laisse ressortir la noirceur et l'épaisseur de leur peine.

En tout cas, c'est ce que j'ai appris avec mon père et mon frère depuis que je vis à Bignoux. Quand on est une nerveuse comme moi, vivre avec deux « faux-calmes », c'est comme être en colocation avec son prof. On en apprend tous les jours.

D'ailleurs, en parlant d'Émile, je sais désormais ce qui a rendu ce dernier si agacé. Apprendre que sa petite amie a été licenciée parce qu'il y avait besoin d'une réduction d'effectifs, ça ne doit pas faire plaisir. Surtout quand la concernée se retrouve complètement déboussolée et passe une matinée entière à pleurer toutes les larmes de son corps dans nos bras.

Du coup, vous vous doutez bien que je ne déteste plus mon frère et surtout que je ne l'ai jamais détesté. J'ai juste... C'était le trop plein. J'avais besoin de souffler, de pleurer et de crier aussi, même si au final, je l'ai fait intérieurement.

Après mon petit cinéma devenu quasiment quotidien, c'est accompagnée d'un Émile calme et rassurant que je suis rentrée à la maison. Angelina était avec la sorcière rousse. Seul mon père, qui était parti ranger des papiers dans son bureau, semblait encore préoccupé par ma crise de colère précédente. En tout cas, d'après ma belle-mère.

Bref, je savais que je lui devais des excuses et des explications, alors après avoir pris une bonne inspiration, je me suis dirigée vers son coin personnel. Et désormais que je toque à la porte de sa pièce, je me sens pire qu'affreuse.

— Besoin d'aide ?

Ma question me paraît ridicule.

Mon père, qui a sorti ses lunettes de lecture, relève la tête. Si je n'avais pas passé ces derniers mois à l'observer (malgré le fait que je voulais faire croire le contraire), je n'aurais peut-être pas remarqué son air contrarié.

— C'est juste un peu de paperasse que je devais trier depuis x-temps.

Je continue d'avancer vers son bureau. Le silence qui emplit la pièce est tendu et surtout froid. Gênée, je me mords les lèvres.

— Je m'excuse pour tout à l'heure.

Mon père abandonne à nouveau ses feuilles pour me regarder. Ses yeux clairs sont teintés de tristesse. Il aura beau dire que ce n'est rien, Angelina avait raison, il a été touché par ma scène et je m'en veux.

— Je ne savais pas que je te faisais honte.

J'ouvre la bouche pour le contredire mais il continue :

— En même temps, c'est bien ce que disent les ados dans les séries alors je suppose que c'est pareil en vrai.

Je me sens encore plus mal qu'à mon entrée dans son bureau. Je m'en veux de lui faire croire des choses qui sont fausses. Je dois mettre les choses au clair.

— Je n'ai pas honte de toi papa. C'est juste que...

Un soupir m'échappe. Je n'ai pas envie de raconter ma vie, du moins pas cette partie, seulement c'est sûrement important pour qu'il comprenne mon point de vue. Je suppose donc que je n'ai pas le choix.

— Ma...

J'ai envie de dire « génitrice » mais je sais qu'il me ferait les gros yeux. Alors je me force à sortir ce terme que je déteste désormais :

— Ma mère ne m'accordait pas d'importance quand j'étais à Paris. Durant des années, j'ai eu l'impression d'être un vieux meuble invisible. Et soudainement, tu es là. Tu es tout son opposé. Tu as même demandé à Émile de me surveiller sur Facebook. C'est...

Près de toi 1 - Madeleine Petit (Terminée)Where stories live. Discover now