15. Le dragon en robe

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J'ai parfois entendu dire que le visage était le reflet de notre âme. Si c'est le cas, alors la mienne ne doit pas être bien belle en ce moment.

Allongée sur mon lit, la gorge prise par un filet gluant apparu après ma séance de pleurs sans fin, j'ai lancé une de mes playlists. Cette fois-ci, il ne s'agit pas de mes morceaux de musical favoris, mais de celle regroupant de grands artistes tels que Sinatra, King Cole ou bien encore Piaf.

La musique a toujours été ma seule potion magique contre la douleur. Là où les mots ou les embrassades de mes proches échouent, elle, arrive à panser mes blessures. Elle et ses notes particulières, elle et ses vibrations, elle et ses voyages sans fin.

Ce soir, c'est « La vie en rose » d'Armstrong qui apaise mon cœur encore malade de sa précédente descente en Enfer. Et tout en fermant les yeux, je m'autorise à m'évader mentalement durant quelques instants.

Si ma vie était un spectacle de Broadway, je serais dans une chambre d'hôtel, à New York probablement. Tout en tenant dans la main de vieux rideaux, je contemplerais le monde qui se réveillerait après endormissement du petit peuple. Les lumières enchanteraient mes yeux, presque autant que l'odeur de pain qui s'infiltrerait dans la pièce à travers la fine ouverture de la fenêtre.

Si ma vie était un spectacle de Broadway, je me mettrais à danser et chanterais mon malheur afin de colorer les objets qui m'entourent dans des tons plus vifs et surtout plus joyeux. D'un revers de la main, je chasserais la mélancolie, la tristesse et les mauvais souvenirs tout simplement.

Si ma vie était un spectacle de Broadway, mes voisins d'un soir me rejoindraient tandis que je sortirais dans le couloir de l'hôtel. Quelques-uns glisseraient le long de la rembarre des escaliers. Les projecteurs feraient feux sur mon visage. J'aurais les cheveux attachés et porterais une robe d'antan.

Le cœur en vrac, je descendrais jusqu'au rez-de-chaussée. Je m'arrêterais devant le comptoir d'accueil pour saluer le réceptionniste parce que bien évidemment, je serais polie, gentille et toutes les autres qualités qui collent aux personnages de ce type-là. Puis alors que je m'apprêterais à sortir dans la froideur de la nuit, pour affronter mon destin de femme brisée, je cognerais dans quelqu'un. Ce serait un nouveau client, charmant jeune homme qui viendrait demander un abri pour la nuit.

Il porterait un long manteau et un chapeau achèverait de le rendre élégant. Tel un gentleman, il soulèverait son couvre-chef pour me saluer. Après cela, je rencontrerais son regard sombre. Ses jolies lèvres s'étireraient dans un ravissant sourire et...

Oh non ! La poisse. Pourquoi a-t-il fallu que j'imagine mon ami d'hôtel avec la tête de Gontan truc muche ? Il vient de casser tout mon délire là.

Puis d'abord, qu'est-ce qui lui a pris de dire un truc pareil en cours de théâtre ? J'ai cru que j'allais mourir sur place tellement mon visage m'a brûlée. Et lui, tout ce qu'il s'est contenté de faire, c'est rire et dire que j'avais les idées mal placées. Genre, c'est lui qui est bizarre et il reporte la faute sur moi.

Malade ce mec. Il est complètement malade.

— Madeleine, à table ! tonne la grosse voix de mon père.

Je quitte définitivement mon monde imaginaire pour revenir dans ma chambre. Mon regard survole mes meubles de bois ainsi que mes vêtements que j'ai laissés traîner sur la chaise et ce, malgré les répliques d'Angelina la voleuse concernant l'importance de plier et ranger ses affaires. Je ne viens pas vérifier si elle trie ses petites culottes par couleur et texture, alors qu'elle ne vienne pas me faire chier !

Tout en soupirant, je quitte mon lit. Mes pieds touchent le parquet. Comme bien souvent, même si le mois de janvier est plutôt froid, je ne porte ni des chaussons, ni des chaussettes. Émile dit toujours que c'est dégueulasse. Est-ce qu'il veut que l'on parle de ses mouchoirs ou de ses chaussettes qui traînent dans sa chambre alors qu'il les a utilisés pour se réconforter de l'absence de sa sorcière rousse dans ses draps ? Non. Bon alors, on est quittes.

Près de toi 1 - Madeleine Petit (Terminée)Where stories live. Discover now