Partie 1 - Chapitre 1

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Oscillation, 60, 87, 110, 127... BIP ! BIP, le moniteur se met à sonner pour me prévenir que la contraction arrive et j'ai envie d'arracher tous les câbles qui me perforent le poignet et stopper ce son agaçant qui me siffle dans les oreilles .

3h que je suis avachie sur ce lit à subir toutes les 4 minutes désormais les violentes contractions utérines et je n'ai pas besoin de ce BIP incessant pour m'en rendre compte. La douleur est lancinante, elle démarre aux lombaires, s'étend sur les reins et l'ensemble de la région du bas du ventre et du dos. Je suis à bout de souffle, littéralement. Voilà près de 10h que le travail a démarré et cette mégère de sage-femme (mon jugement est légèrement altéré par mon état actuel) passe son temps en aller-retour à me mettre des doigts là ou je pense pour me dire :

- On est à 4 la madame. Il faut encore attendre.

Comment ça à quatre ? Je questionne silencieusement les yeux écarquillés, les joues rouges sang, le front en sueur.

- C'est normal mon amour, intervient Jamie d'une voix rassurante en me passant la main sur le front. C'est ton premier bébé, cela prend du temps.

La bienveillance et la sérénité de mon homme sont bien les seules choses qui m'apaisent depuis le début de toute cette aventure qu'est l'accouchement, et la grossesse d'une façon générale. Il est déjà passé par là, enfin d'une certaine façon parce que lui n'a pas eu à sortir 4kilos de son ventre par un trou de souris, mais il a vécu cette situation à deux reprises avec son ex-femme. Alors je l'écoute, il me rassure. Je me dis que je peux tout faire avec lui et que

- Ahhhaahhhh,

- Encore une, me dit-il en fixant ses yeux sur le moniteur. Elles se rapprochent, cela ne devrait plus être très long avant la péridurale.

La péridurale. Ce mot dans sa bouche sonne comme le graal. Je me sens comme la camée en manque de sa dose, désespérée d'être enfin soulagée de ces douleurs abdominales répétées depuis des heures. En supporter une, puis deux, puis des centaines, c'est plus que tout ce que j'ai pu imaginer en terme de douleur physique de toute ma vie. A chaque nouvelle contraction je me dis que mon corps ne pourra en supporter une autre, et pourtant, il reste encore plusieurs centimètres d'ouverture nécessaires pour qu'on puisse enfin m'amener en salle de travail.

Nous sommes arrivés à la clinique au milieu de la nuit avec Jamie. Je suis à une semaine du terme et au dîner j'ai commencé à avoir des douleurs, au départ j'ai pensé avoir peut-être trop manger. Les sensations se sont intensifiées et vers 22h les contractions s'espaçaient de 10min. Méfiante au premier abord car mon médecin m'avait parlé de « fausses contractions », je me suis mise à compter les espacements. Jusqu'à un moment vers minuit ou cela devenait franchement douloureux et moins supportable ce qui m'obligea à démarrer des exercices de respiration et de positions. Jamie, expert en la matière, m'aidait à soulager ma douleur, m'accompagnait sur des poses, me parlait pour me distraire. Tout le monde m'avait sermonné pendant la grossesse sur le fait d'attendre le plus possible chez soi que le travail démarre et de n'aller à la maternité qu'en cas de contractions proches et très douloureuses. Le problème, c'était ma définition de « douloureuses », n'ayant que très peu de repères dans la vie passée si ce n'est le mauvais souvenir de mon passage à tabac à Los Angeles. Et c'est d'ailleurs très difficile mentalement après une grossesse compliquée de ressentir à chaque contraction la même sensation que ces coups de pieds enchaînés dont on m'assaillait et qui m'avaient fait perdre le fœtus. 3 années écoulées depuis et ce souvenir me hante toujours, surtout depuis que je suis enceinte, à 36 ans, avec l'angoisse de faire une fausse couche.

Mais me voilà désormais à 39 semaines, en salle de préparation à l'accouchement, vêtue d'une chemise de nuit ambulatoire et étendue telle un veau sur un lit d'hôpital, a attendre que ce foutu col veuille bien s'ouvrir !

- On va pouvoir poser la péridurale madame, m'annonce la sage-femme après un énième doigté au gant en latex. J'appelle l'anesthésiste.

Cette femme est ma reine, ma sauveuse. Je l'aime plus que tout en cet instant précis et me sens honteuse de l'avoir intérieurement insultée de tout les noms. Il est bientôt 9h du matin et je n'ai pas dormi de la nuit, je n'ai plus rien dans le ventre et désormais je n'ai plus le droit de boire non plus. Mais je vais enfin recevoir cette piqûre magique et arrêter de souffrir le martyre. Jamie m'adresse un doux sourire de compassion, je crois qu'il est aussi content que moi de cette annonce car il va retrouver sa compagne et non une hystérique dégoulinante et gueularde.

Une demi-heure après l'intervention du médecin et l'infiltration du produit dans ma colonne vertébrale, je respire enfin. Que dis-je, je revis. Je regarde avec mépris le moniteur afficher les contractions monter à 127 et rigole d'un air moqueur pour stipuler que je ne sens plus rien. C'est la délivrance. Je ne sais pas comment les femmes qui font le choix de se passer de péridurale supportent des heures et des heures d'agonie. Quand on me demandait mon échelle de douleur sur 10, j'ai répondu 9 à peine arrivée à la maternité. Et cela n'a fait qu'empirer, j'ai donc remis en question toute mes notions de résistance et résilience. Jusqu'où cela pouvait-il aller ?

Nous passons plusieurs heures avec Jamie à attendre dans cette petite pièce, moins confortable qu'une chambre mais mieux équipée pour un futur accouchement. Les stores sont baissés et la pièce n'est éclairée que par de faibles néons. Le manque de lumière naturelle et d'air frais rend l'atmosphère peu respirable, et je n'ose imaginer l'odeur que je dégage à force de suer sur ces draps. Je m'assoupis par moment, épuisée, tandis que Jamie bouquine ou joue sur son smartphone, assis tranquillement sur un fauteuil à côté de mon lit médicalisé.

- Tu penses qu'il y en a encore pour longtemps ? Je lui demande.

- Je ne sais pas chérie. Cela peut prendre une heure ou plus, tu es ouverte à 5, je crois qu'ils t'emmènent pour accoucher à 9. Il faut patienter. On va bientôt rencontrer notre fils.

Notre fils.

Jamie 2 :(les aventures d'Inès et Jamie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant