Chapitre 9

300 19 2
                                    

Nous sommes une quinzaine de personnes debout dans notre salon, à attendre l'appel fatidique. Jamie est littéralement en train de bouffer tous ses ongles un à un et moi je me triture les cheveux depuis deux heures.

Ça sonne. Tout le monde focalise son attention sur Jamie qui tient son portable du bout des doigts et dont on a l'impression qu'il va le faire tomber. Au bout de trois sonneries, le commissaire lui fait signe de décrocher.

- Quai 54 aux Tilbury Docks, dans 30 min. La mère vient seule, ou je tue le gosse.

Il a raccroché. Comme lors de son premier appel, des consignes sèchement annoncées et aucune occasion de discuter ou de prolonger l'échange. Les réactions fusent alors que le temps joue contre nous : les docks sont à au moins 20 minutes de route, sans circulation. Avec une escorte de la police c'est jouable.

- Hors de question qu'elle y aille seule ! S'insurge Jamie en me dévisageant.

Anders est sur le qui-vive.

- Pas de temps à perdre, on monte en bagnole et on avise en chemin - prenez les talkies, on se positionne sur le canal 2.

Nous sortons à la hâte et je me retrouve à nouveau à l'arrière de la voiture du commissaire et de son chauffeur, Jamie complètement hystérique à mes côtés. Les flics discutent par radio interposées mais je n'entends pas vraiment ce qui se dit, concentrée ou perturbée par la responsabilité qui pèse sur mes épaules.

- Je peux le faire, je dis, tremblante.

Je tiens le sac de sport rempli de billets sur mes genoux, qui remue aux mouvements brusques du véhicule dans les virages.

- Non, non et non ! Je ne supporterai pas qu'il t'arrive quelque chose.

- Tu l'as entendu comme moi. C'est ça ou il tuera Adam. J'y vais. C'est tout.

Je suis surprise par l'audace et l'assurance dans ma voix. Une poussée d'adrénaline m'aide sûrement à assumer un rôle que je n'aurai jamais eu la force de tenir autrement.

Anders marmonne dans sa barbe.

- Les Tilbury Docks ? Pourquoi là-bas ? C'est une grosse zone d'affrètement et de déchargements. Y'a un énorme entrepôt Amazon là-bas. A cette heure ci il y aura des salariés au travail... hum... oui, logique, la zone sera un vrai merdier pour circuler à cause des containers et des employés en service... peu de visibilité pour nous et un risque de blesser des civils si on intervient... bordel le salopard il a bien prévu son coup...

- C'est, c'est mauvais signe ? Demande Jamie qui n'en loupe pas une miette.

- Oui et non. Ça reste un quai. Donc au delà du quai, c'est de la flotte. Il n'aura pas beaucoup de solutions de fuite. On va placer deux unités aux entrées principales des Docks - histoire de le cueillir à sa sortie !

Anders se retourne de son siège passager pour nous parler directement :

- Madame Dornan, détendez-vous. Tout va bien se passer. Ne faites rien de stupide. Donnez le sac, prenez le petit, et laissez le filer. Ok ?

- Euh... OK...

Comme si c'était si simple.

- Mais il a dit qu'elle devait venir seule, donc sans flics - or on est en train de débouler avec une vingtaine de personnes ! Lance Jamie, perplexe.

- Notre voiture est banalisée, à l'entrée du quai nous descendrons et vous irez seule Inès. C'est bon pour vous ?

Alors maintenant en plus de faire face au ravisseur de mon gosse tout en gardant mon calme et en filant deux millions, faut aussi que je conduise la bagnole au milieu d'un quai de déchargement ? De mieux en mieux ce plan.

- Ok.

Que dire de plus ? C'est pas comme si j'avais l'embarras du choix.

- Putain c'est de la folie, s'excite Jamie en sueur.

Anders fait la moue, et tente de l'apaiser en lui disant qu'ils seront là prêts à intervenir bla-bla-bla. Mais moi je ne suis plus là, du moins je ne suis plus dans cette voiture à cet instant précis. Je regarde à travers la vitre au loin et me projette déjà dans la scène de film la plus tonitruante que je vais vivre de toute ma vie. Quelques gouttes de pluie viennent se heurter sur la vitre tandis que nous poursuivons notre course folle vers le lieu de rencontre. C'est un vif coup de freins qui me sort de ma torpeur, marquant l'arrivée à l'entrée de la zone Tilbury. J'aperçois le logo Amazon sur la façade d'un immense bâtiment en tôle auprès duquel nous sommes garés.

Alors qu'on me fait sortir du véhicule et qu'on m'harnache rapidement d'un gilet pare-balle (quoi? c'était prévu ça ?), Jamie essaye toujours de négocier avec Anders pour prendre ma place ou tout faire pour que je n'aille pas seule dans la zone. J'ai cette impression d'être détachée de mon corps et d'assister à cette scène telle une narratrice omnisciente. Mais que ce n'est pas moi qui vit cet instant à ce moment même. Il pleut désormais abondamment et la froideur des gouttes sur mon visage me fait réagir lorsque le policier qui m'a équipé me parle :

- Madame, ça va madame ?

Il me secoue légèrement. J'acquiesce d'un geste de la tête et me dirige vers Jamie qui n'en finit plus de hurler sur le commissaire.

Je le serre fort dans mes bras, le prenant au dépourvu par mon étreinte en plein milieu de son monologue énervé.

- J'y vais. Je vais nous ramener notre fils.

Et je ne lui laisse pas le temps de réagir, je monte dans la voiture en m'installant au volant et démarre en trombes sans prendre la peine de boucler ma ceinture. On va pas me faire chier pour ce genre de mesures de sécurité vu le contexte. Je jette un coup d'œil dans le pare-brise arrière pour voir plantés là 4 policiers et Jamie, debout sous la pluie et impuissants. Je vérifie aussi par la même occasion que le sac d'argent est toujours sur la plage arrière, puis m'élance dans la zone a la recherche du quai 54.

À nous deux maintenant.

Jamie 2 :(les aventures d'Inès et Jamie)Where stories live. Discover now