75 - Le lac des baptêmes - 2

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Cela faisait quatre heures qu'ils étaient partis lorsqu'ils arrivèrent à la lisière d'une forêt d'ormes. Une brise légère se leva et Shahina boutonna son manteau. Ils débouchèrent sur une allée bordée par des bancs de muguet et de violettes. La senteur des fleurs leur parvint aux narines tandis qu'ils apercevaient des écureuils sauter de branche en branche. Ils partirent alors au petit galop, suivant la courbe du sentier, et continuèrent ainsi sur plusieurs lieues. Le chemin était relativement plat, parfois agrémenté d'un ou deux talus.

Bientôt, la fatigue se fit sentir. Une douce lumière rose fendait maintenant les feuilles des arbres quand une clairière s'ouvrit à eux. Nicodémus mit pied à terre et leur proposa de monter le camp pour la nuit. Les hommes allèrent chercher du gros bois bien sec pendant que les femmes ramassaient des bouts d'écorce et des brindilles pour allumer le feu. Les flammes se mirent à crépiter et elles sortirent les provisions pour préparer le souper. Elles mirent à braiser les pommes de terre qu'ils avaient emportées du village avec un cake au lard, puis empalèrent sur la broche un lièvre que Nicodémus avait attrapé au collet.

— C'est tellement agréable, se réjouit Shahina.

— Eh oui ! Même la réalité virtuelle ne peut vous offrir tout ça, mais n'oublions pas ce pour quoi nous sommes en route, rappela Nicodémus.

— À ce propos, la source est-elle encore loin ? s'enquit Alagan.

— Encore cinq jours de cheval. Demain, nous dormirons au lac, et après, nous longerons le cours de la Sérénité pic du Grand Majestic, l'informa Nicodémus.

— Je me demande pourquoi le C5 veut détruire tout ça, déplora Alagan en détaillant les arbres qui l'entouraient.

Les ombres s'étaient allongées à leur maximum.

— Ils ne vivent que pour le pouvoir et la monnaie universelle. Ils accordent peu de temps à leur vie privée et se fichent éperdument de l'environnement, intervint Shahina. Ce serait un coup fatal si le C5 étendait sa domination sur l'île, reprit-elle. On ne peut pas exploiter le gisement source sans danger. Le verset de l'apocalypse est là pour nous le rappeler.

— C'est effroyable ! s'insurgea Cassiopée.

Il y eut un long silence tandis qu'ils mesuraient soudain l'ampleur de leur mission. Ils finirent de manger le succulent gâteau qu'avait préparé Shainoor au crépitement des flammes, sans en apprécier le goût comme ils l'auraient dû. On n'entendait plus que le hululement des hiboux et la stridulation des criquets. Ils décidèrent de se coucher et, bientôt, il n'y eut plus que quatre sacs de couchage étendus au coin du feu. Les lieues qu'ils avaient parcourues la journée se firent soudain bien lourdes et la somnolence s'empara d'eux très rapidement pour être détrônée aussitôt par le sommeil du juste, si profond que même les bruits nocturnes ne les distrayaient pas.

Dès potron-minet, Nicodémus réveilla Alagan. Il avait mis sur le feu une casserole de café. Shahina et Cassiopée avaient déjà préparé le petit-déjeuner. Le ventre plein, ils reprirent la route, encore endoloris des courbatures de la veille.

Le bleu du ciel n'était toujours pas visible lorsqu'ils atteignirent la montagne.

— La journée va être chaude, leur promit Nicodémus. Ne vous couvrez pas trop.

Ils suivirent le sentier étroit qui bordait la rive droite de la Sérénité. En observant les courbes sinueuses de la rivière, Alagan songea à Kassandra. Il aurait voulu la tenir dans ses bras et l'étreindre fort, sentir l'effluve de son parfum et la soie de ses cheveux roux. Roux ? Non, blonds. Par Moh-Jeovdi, les visages de Cassiopée et de Kassandra s'entremêlaient maintenant dans son esprit. À cause de la chaleur. Il contempla la chaîne de montagnes autour de lui. Au loin, le pic du Majestic, si haut, si beau.

Ils continuèrent en silence tandis que les lueurs du jour se faisaient plus vives. Quand le soleil grimpa au-dessus du pic du Majestic, l'air devint plus lourd et Alagan ôta sa veste. Il s'imprégnait chaque jour davantage d'Édesse et mesurait soudain toute l'ampleur des versets du Grand Livre. Les mots de la Dame Amarante lui revinrent en mémoire. Dans chaque colline et chaque creux de la montagne, il se demandait si ses parents avaient foulé ces lieux avant lui. Mais le temps était à la protection de la source et de sa Dame.

Ils marchèrent ainsi, pendant encore deux jours, avec Shahina et Cassiopée, se rappelant leur longue traversée avant la tempête. Au loin, le pic du Majestic semblait s'étirer vers le ciel, comme si son sommet prenait peu à peu la forme d'une cheminée. De temps en temps d'ailleurs, le volcan grondait et libérait des gaz.

Au soir du troisième jour, un vol de buses attira leur regard puis alla se fondre dans le gris des nuages du couchant. Ils étaient en haut de falaises rouges splendides. En deçà coulait avec vigueur un torrent.

— Voici le cours de la Sérénité, annonça fièrement Nicodémus.

La brise se leva, décoiffant les longs cheveux noirs de Shahina. Bientôt, la nuit serait tombée. Ils décidèrent de laisser se reposer les chevaux aux abords du cours d'eau, à l'orée du bois où ils pourraient s'abriter en cas de pluie. L'obscurité s'installait, et les feuilles des arbres s'animaient en rythme au son de l'eau qui coule pour former une mélodie dont seule la nature donnait la clé. C'est sur ce son harmonieux qu'Alagan s'assoupit. La nuit était bien entamée lorsque la Dame Amarante se joignit à son rêve.

— Parlez-moi de l'eau d'Édesse, s'imagina-t-il lui demander.

En sa source s'écoulent les grands maux de ce Monde

En ses larmes fécondes, la sève blanche abonde

Dans ses eaux cristallines se clarifie l'esprit

Des enfants qu'une mère en son sein a nourris

Et son trouble traduit l'égarement de certains

Qui, suivant son sillage, ne trouvent leur chemin


Puis, se rapprochant :


Longue et tortueuse la route vers la source

Du ciel te guidera l'étincelante Grande Ourse

Mais, en ses veines, coule le sang blanc d'Édesse

La sève immaculée nourriture de sagesse


Empoisonné l'infidèle qui, les humbles, abuse

Celui dont l'arrogance n'a d'égale que la ruse

Celui-là, dont la soif, il ne sait étancher

Celui dont la fortune, il ne sait partager


Celui autour de nous, qui ne sait pas aimer

Celui au-dessus des lois qui ose se placer

Celui qui, en la guerre, place toute sa foi

Celui-là par la sève se repentira.


....

Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️  #1 Best of the Books  - SF 2019 !حيث تعيش القصص. اكتشف الآن