20 - Barrabas 2

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Les gnomes leur rendirent leurs armes et une dizaine d'entre eux préparèrent leurs bagages pour l'expédition à destination de Barrabas. Ils saluèrent leurs familles, embrassèrent leurs femmes et leurs enfants, puis se dirigèrent vers un énorme chêne beaucoup plus large que les autres. Son tronc noueux abritait plusieurs excroissances auxquelles on pouvait associer des têtes d'animaux, un lion ici, une panthère là. L'écorce de l'arbre était profondément crevassée et ses gerçures horizontales témoignaient de l'empreinte du temps. Construite tout autour de la base du tronc, une petite hutte avec une ouverture en bois y était logée. L'équipe entra. Les gnomes et les trois jeunes s'y engouffrèrent les uns derrière les autres. La pièce était curieusement assez grande, éclairée par la lumière qui filtrait de par le tronc. Alagan avait peine à croire qu'il se trouvait à l'intérieur d'un arbre. Cela ressemblait à une sorte de salle de conseils, avec un pupitre au fond de la pièce. Le gnome au bâton et au bonnet rouge passa derrière le pupitre. Il souleva le tapis, révélant une trappe qui s'ouvrait sur un immense escalier en colimaçon et semblait descendre sans fin vers les entrailles de la Terre.

Le gnome ordonna à tout le monde de le suivre et l'équipe s'engouffra à la file indienne dans ce vertigineux escalier. Lorsqu'ils arrêtèrent de descendre après un temps qui parut interminable aux trois compagnons, ils se retrouvèrent dans une galerie dont la faible hauteur laissait penser qu'elle avait été conçue pour des personnes de petite taille. Les têtes d'Alagan et de Nam touchaient quasiment le plafond. Les petits personnages allumèrent plusieurs torches pour éclairer les multiples tunnels qui partaient dans toutes les directions.

Le plus âgé d'entre eux prit à ce moment la parole :

— Ici commence le labyrinthe de Beren, jeunes humains. Suivez-nous bien sans quoi vous n'en ressortirez jamais. Il faut cinq ans à nos enfants pour y aller tout seul.

La troupe se remit en marche derrière les gnomes. Alagan tenta de se repérer, en vain. Les développeurs d'Héroïca n'avaient pas oublié de sceller le code. Il espérait seulement que les petits personnages étaient fiables et qu'ils ne les abandonneraient pas là, dans l'immense labyrinthe. À ce moment-là, un bruit pareil au froissement de feuilles de papier les tira de leur réflexion.

— Vite ! À couvert ! s'écria l'un des gnomes. Des gloussantes !

Une demi-douzaine de créatures volantes se posèrent face à eux dans de petits cris brefs et répétés. De la même taille que les petits guides, elles ressemblaient à de grosses gargouilles en forme de chauves-souris. Semblables à des chiroptères géants avec leur peau lisse et membraneuse, leurs deux avant-bras osseux abritaient des replis de peau si larges qu'ils formaient une aile de chaque côté. Leur tête étriquée et sournoise sur laquelle s'érigeaient deux oreilles bien droites laissait percer leurs petits yeux opaques et un museau pointu, surmonté d'un pelage en forme de feuille. Dans leur gueule entrouverte, de longues canines aiguisées sortaient de leurs mâchoires. Face à ces dents tranchantes comme les lames d'un rasoir, leurs modestes molaires se cachaient à l'arrière attendant patiemment de dépecer une victime. Finalement, en dépit de leur rire moqueur, avec leurs pattes griffues et leur queue fourchue, les créatures n'auguraient rien de rassurant. Impressionné, Alagan tenta de décoder le programme des gloussantes.

— C'est curieux, eut-il le temps de chuchoter à Nam. C'est comme si,dans cette partie du jeu, tout avait été chiffré de façon renforcée. Je n'arrive plus à lire aucune instruction.

Il fut sorti de sa torpeur par le cliquetis des lames de Nam et Cassiopée. Les gloussantes avaient engagé les hostilités. De leur avant-bras squelettique, mais velu, elles agitaient un glaive. Alagan dégaina à son tour.

— Surtout, restez groupés, leur dit le plus vieux gnome, sinon vous vous perdrez.

Le jeune homme brun para l'attaque d'une des créatures particulièrement tenace. Le combat faisait rage. Les gnomes se battaient avec hardiesse. De son côté, Cassiopée, agile, avait tiré profit des séances de formation à la lutte, à l'instar des petits guides. De leur côté, les étudiants peinaient. Malgré les recommandations de leurs alliés, ils furent entraînés dans un embranchement étroit du tunnel. Seuls, dans une cavité sombre, face à trois gloussantes aux mâchoires acérées, ils combattaient avec ardeur. Le fracas des lames se faisait plus fort et plus rapide, entrecoupé des moqueries aiguës et répétées des créatures ailées. Ces dernières ne laisseraient partir personne. Les deux jeunes gens résistaient, crispés, dos à dos, face aux espèces de chauves-souris géantes quand enfin, la lame d'Alagan transperça l'une d'elle. La lutte reprit, plus équilibrée, et se poursuivit de longues minutes dans un vacarme métallique. La gloussante aux prises avec Alagan s'effondra finalement, dans un cri de détresse strident et macabre, qui fit se retourner Nam. Trop tard. Profitant de l'aubaine, l'autre créature venait d'enfoncer son épée dans le cœur du jeune asiatique. Le jeune homme tomba à genoux, les yeux gorgés de sang, se tordit de douleur puis s'écroula au sol.. Dans un élan de rage, Alagan se jeta sur la dernière gloussante. Voué d'une frénésie guerrière, il oublia soudain la fatigue accumulée et rassembla ses forces. Étouffant son désespoir dans le réconfort de la vengeance, il égratigna l'animal. Ignorant le cri de supplique, feinte malhabile d'une bête non subtile, il para une attaque sur la droite, s'empara de l'épée de Nam de sa main gauche, et trancha la tête de la bête. La gorge nouée, loin d'être rassasié, il se pencha inquiet sur le corps inerte de son ami et déchiffra « Joueur nettoyé ». Il aurait voulu pleurer, mais il ne pouvait pas. Une lassitude empreinte d'inquiétude le gagna et il appela son interpréteur de commande.

— Shella, comment va Nam ?

— Nam va bien, Alagan. Ses signes vitaux sont à soixante-deux pour cent. Il retrouvera son plein régime après un repos de sept heures et vingt-trois minutes.

Alagan soupira de soulagement. Il ne s'y ferait jamais. Le monde virtuel était tellement convaincant que par moment, il le confondait vraiment avec la réalité. Il fut soudain heureux de n'être que dans un jeu. Les conforts de la réalité virtuelle ne lui offriraient jamais autant que la réelle amitié de Nam.

— Sors-nous de la partie, Shella. Nous verrons si Nam veut reprendre la partie plus tard, avant l'endroit où il s'est fait occire.

— Impossible, répondit Shella. Le jeu est protégé. Les joueurs qui sont éliminés ne peuvent pas recommencer. C'est un jeu à passage unique. Vous pouvez restaurer les scènes tant que vos personnages sont en vie, mais pour Nam, la partie est finie. 

(credit photo Dragon Age Inquisition Leliana the Spymaster Open Edition Art Print etsy

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Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️  #1 Best of the Books  - SF 2019 !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant