28 Quel imbécile !

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La matinée et le début de l'après-midi lui parurent interminables. Nam et Cassiopée n'arrêtaient pas de lui demander s'il avait des nouvelles, et pour couper court, il finit par avouer qu'il en saurait plus le lendemain.

Peu avant quatre heures, il passa embrasser Mamily pour vérifier comment elle allait. Son état était stable, mais elle n'était toujours pas remise. Il sifflotait tandis qu'il arrosait les plantes, gai comme un pinson à la perspective de son rendez-vous.

— Tu m'as l'air bien joyeux, aujourd'hui, constata Madame Tyles.

— Hein ? ... Heu, oui, enfin, rien de spécial. J'ai réussi à terminer la partie d'Héroïca.

— Ah, c'est donc ça ?

Elle n'était pas dupe, mais elle était fatiguée et le laissa partir sans autre forme d'interrogatoire.

Il descendit en aérosceur, puis monta dans le transporteur qu'il avait commandé pour se rendre à son entrevue. Enfin un vrai rendez-vous, hors du cyberespace, pensa-t-il, réalisant au même instant qu'il ne pourrait pas dissimuler ses émotions aussi facilement que dans la matrice.

La bibliothèque, immense, sentait bon les vieux livres. Des lampes en collerette verte pendaient du plafond pour ne s'arrêter que quelques centimètres au-dessus des tables de travail. Il y avait peu de monde, il serait donc aisé de la trouver. Il entendit quelques voix. Ah oui, je les avais oubliées, celles-là. Il passa devant plusieurs rayonnages et se dirigea vers un recoin un peu plus intime qu'il connaissait. Elle était là, assise, studieuse, ses mèches les plus indisciplinées retenues sur les côtés par de discrètes barrettes pour mieux dégager son visage. Elle le sentit arriver et lui offrit un chaleureux sourire. Il choisit la chaise à côté d'elle et s'enivra de son parfum qu'il associa à la rosée fraîche du matin.

— Salut, dit-il d'une voix suave. Je suis content que tu aies pu venir.

Elle répondit brièvement sans oser le regarder. Après quelques secondes d'hésitation, elle reprit :

— Écoute, ce n'est pas dans mes habitudes d'accepter ce genre de rendez-vous. Pour être franche, je ne suis pas vraiment à l'aise.

Il lut dans ses pensées et découvrit son secret. Elle avait le don de prescience et visualisait certaines scènes possibles de l'avenir. Il n'en dit rien. Cette fille était assurément plus complexe que ce qu'il avait pu préjuger, mais, en même temps, il s'en sentait si proche, comme si un lien particulier les unissait. Ce fut elle qui prit la parole en premier.

— Je sais que tu as un don, Alagan, le don de lire dans les esprits. Je l'ai vu... Enfin, je l'ai visualisé.

Il leva à peine un sourcil.

— Oui, je lis les pensées, et toi, apparemment, tu entrevois l'avenir. Est-ce cela un palatin ?

Elle non plus, ne cilla pas, mais son visage rayonnait d'une intensité qui troubla Alagan.

— Je crois que oui, Alagan. J'ai peur.

En même temps qu'elle parlait, ses traits se crispèrent.

— Cela ne fait que quelques jours seulement que mon don m'est apparu, reprit-elle.

Sa voix évoquait la sincérité et, en même temps, laissait filtrer des accents de frayeur. Elle le fixait étrangement. Intimidé par ses yeux bleu marine, il avait du mal à réfléchir. Il posa sa main sur la sienne pour la tranquilliser, mais, surprise, elle sursauta. Alagan sonda ses pensées et comprit. Plus jeune, Kassandra avait été malmenée par un homme qui lui avait tendu un traquenard au coin d'une rue. Trop petite, trop frêle, elle n'avait pas pu se débattre. Voyeur indélicat, il ferma son esprit, mais il aurait voulu la prendre dans ses bras pour la rassurer. À défaut, il l'enveloppa de son regard protecteur et s'excusa.

Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️  #1 Best of the Books  - SF 2019 !Where stories live. Discover now