30-La cache

33 2 2
                                    


La foule était rassemblée dans l'une des nombreuses caches souterraines de la cité de Baiyin. Un homme dégarni aux cheveux gris, la quarantaine bien entamée, se tenait en haut de l'escalier de l'amphithéâtre. Ses traits tirés montraient qu'il dormait peu. Sa barbe soigneusement coupée et sa robe, au tombé impeccable, faisaient émaner de lui un raffinement et un charisme certains. Il portait la tenue albâtre du Comité des Sages. À côté de lui, un homme plus âgé scrutait les mouvements de la foule.

— Fidèles de Moh-Jeovdi ! commença le barbu sur un ton solennel. Le Cercle des Prescients en est convaincu. Nous allons entrer sous peu dans une époque de grande agitation. Les actions des patrouilleurs se font de plus en plus ciblées. Nous ne pouvons exclure que les Quinze aient trouvé le moyen d'utiliser les dons des palatins à leur profit. Il nous faut agir vite. Notre avenir est en jeu. Il semblerait que Les Quinze aient décidé d'exploiter la Source ultime d'Édesse.

Un silence consternant régnait dans la salle. Dans les coulisses, une jeune femme immobile ne quittait pas l'orateur d'une semelle. Elle devait avoir environ vingt-cinq ans, quoique son allure stricte et fière puisse lui en faire paraître davantage. Elle avait le même regard vert que l'homme en robe albâtre, mais ses cheveux, noirs comme de l'ébène, étaient aussi longs que la lame d'une épée. Son teint mat aux reflets dorés, ses cils ourlés et ses sourcils un peu épais mettaient d'autant plus en valeur le clair de ses iris. Son origine indienne ne faisait aucun doute. L'individu reprit :

— Il nous faut rallier à notre cause les palatins. Sans leurs pouvoirs, nous ne serons pas suffisamment puissants pour atteindre notre but. Nos éclaireurs vont partir en recherche active de palatins non avérés. Leur objectif est de confirmer l'existence de dons et de les ramener aux caches avant qu'ils ne soient détectés par les patrouilleurs.

La foule de fidèles, consciente des implications, acquiesça puis Séoras tourna les talons et se dirigea vers la sortie, suivi du petit homme âgé et de la femme aux cheveux ébène. Une fois isolée de la foule, la jeune femme saisit le bras de Séoras et murmura :

— Tu as eu raison de le leur dire.

L'homme embrassa sa fille sur le front.

— J'espère que tu dis vrai, Shahina.

Ils avancèrent dans un long corridor. La jeune Indienne reprit :

— Je l'ai encore vu, Père.

— Shahina, railla-t-il, ton don est à peine révélé, le Cercle des Prescients lui-même n'a rien prédit au sujet de ce jeune homme. Je crains que tu n'aies encore du mal à faire la part des choses entre les visions réelles et tes rêves. Je ne veux plus entendre parler de cette histoire !

Cette dernière, résignée, ne dit rien. Elle respectait l'autorité de son père et doublement celle d'un membre du Comité des Sages.

Si seulement nous avions un peu plus de recul sur ces mutations, pensa-t-il.

Séoras était un homme très rationnel. Si sa fille n'avait elle-même été palatin dès les premiers cas, il n'aurait jamais accordé foi une seconde à ces rumeurs d'altération du génome.

Les experts de l'O.T.R. avaient observé certaines formes de transformations humaines plus fréquentes chez les adolescents et jeunes adultes. Alimentation génétiquement modifiée, médicaments, rayonnements électromagnétiques, nanoparticules, ondes radio, pollution, nul n'en connaissait la cause. Des individus développaient soudain un don particulier. Deux groupes avaient jusqu'à présent été identifiés : les Prescients qui prédisaient partiellement l'avenir et les Convoyeurs qui déplaçaient les objets par télépathie. Shahina appartenait à la première catégorie, représentée par la robe pourpre des Voyants.

Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️  #1 Best of the Books  - SF 2019 !Where stories live. Discover now