79 - Rencontre - 2

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Le gazouillement d'un geai réveilla Alagan. Le soleil brillait sur la plaine depuis plusieurs heures. Kassandra était allongée dans ses bras. Sa respiration lente démontrait qu'elle n'avait pas encore entièrement récupéré de la veille. Alagan se dégagea avec douceur de ses bras et examina la montagne. Il n'arrivait plus à trouver la citadelle. Nicodémus lui avait dit qu'elle était difficile à repérer de jour alors que l'éclat de sa roche ne brillait qu'à la lumière de la lune.

Il avait fini de préparer le petit-déjeuner froid lorsqu'il vit sa blonde compagne se lever avec une grâce féline.

— La source est encore loin ? lui demanda-t-elle.

— Six à huit heures, je pense. Mais nous ne pourrons reprendre le chemin qu'à la tombée de la nuit, sinon nous serions trop exposés à la vue des patrouilleurs, expliqua-t-il.

— Oh ? Mais qu'allons-nous faire jusqu'à ce soir ?

— J'ai bien une vague idée, répondit-il avec un sourire coquin.

Il caressa sa joue, effleura ses paupières et dessina de son pouce le contour de sa bouche. Kassandra entrouvrit ses lèvres et il s'y engouffra, avec une avidité qui le surprit lui-même. Le pouls de Kassandra s'affola, un spasme agita son ventre tandis qu'elle s'abandonnait à lui.

Ils batifolèrent ainsi jusqu'en fin d'après-midi, tels des papillons, puis reprirent enfin la route, frais et rassasiés. Ils grimpaient le sentier depuis deux heures lorsque la nuit tomba. Ils continuèrent au pas jusqu'à ce que l'astre nocturne, bien rond, se réfléchisse sur les rochers. De nuit, la forteresse d'Édesse apparaissait dans toute sa splendeur, éclairée par le halo de la pleine lune. Aux deux tiers du Pic, elle érigeait ses quatre tours vers le ciel. Assis sur sa selle, Alagan contemplait émerveillé la muraille qui semblait épouser presque parfaitement la montagne qui la portait. Elle était plus haute et plus belle qu'il ne l'avait envisagé.

Sa migraine le reprit brusquement et Kassandra le remarqua.

— Alagan, qu'as-tu ? s'inquiéta-t-elle.

— Rien !

Il fit une pause avant de poursuivre :

— Par moment, j'ai l'impression que ma tête va exploser. Dépêchons-nous de trouver la source...

L'accès à la forteresse semblait dangereux. L'édifice était perché sur un pan de montagne tellement abrupt, qu'il se demanda si sa monture pourrait y grimper. Les rochers tombaient à pic sur des fourrés entiers de ronces et de mûres sauvages. On ne pouvait y accéder que par un seul chemin, à peine visible.

Alagan inspira profondément devant l'escalade qui s'annonçait. Alors que rien n'aurait pu l'arrêter, il se questionna cependant à propos de Kassandra :

— Auras-tu la force de monter ?

— Oui, ne t'inquiète pas.

Il tapota l'encolure de Perle pour l'encourager et serra les talons. L'animal ne broncha pas, tant le cœur de son maître était confiant, et appréhenda la première moitié du trajet plus facilement qu'il n'y parut de prime abord. La monture de Kassandra suivit Perle fidèlement. Il n'en fut pas de même sur la seconde partie. Les chevaux trébuchaient constamment sur le chemin caillouteux qui grimpait en serpentant à flanc de montagne et s'arrêtèrent plusieurs fois au passage de zones très escarpées où Alagan et Kassandra durent descendre de leur monture et leur flatter l'encolure pour les rassurer. À plusieurs reprises, des éboulements barrèrent la voie et il fallut descendre de cheval pour guider Perle et son prince noir sur l'étroit sentier où le moindre faux pas risquait de les précipiter irrémédiablement dans le vide. Au fur et à mesure qu'ils progressaient, les nuages envahirent le ciel et l'obscurité grandit, rendant la montée de plus en plus périlleuse. De temps à autre, l'air portait à leur nez des effluves d'iode qui rappelaient la proximité de la mer. Devant les fissures béantes qui jonchaient leur trajet, Alagan regretta un instant de s'être engouffré de nuit dans la montagne. Le chemin fut long et laborieux au point qu'il leur fallut dix heures pour atteindre la forteresse.

Bien conservée, elle s'érigeait en toute sobriété, du haut de ses remparts fortifiés. Le vent soufflait fort à cette altitude, mais on pouvait néanmoins entendre le fracas des vagues qui en bas, heurtaient de plein fouet la roche du Majestic. Alagan balaya du regard chacune des ouvertures du châtelet. Sa face nord était sombre et lisse, imprenable. La herse était abattue et aucune issue en dehors des fenêtres n'était visible. Il longea la muraille et repéra la poterne en contrebas, précisément à l'emplacement que lui avait indiqué Nicodémus. Il tira de sa poche l'une des clés qu'il lui avait remises et l'inséra dans la serrure. Il souleva le verrou, poussa de toutes ses forces l'épaisse porte en chêne qui finit par s'ouvrir en geignant. Ils gravirent quelques marches et se retrouvèrent dans une cour. Ils se dirigèrent ensuite vers ce qui ressemblait à l'entrée principale. Il prit alors la seconde clé et ouvrit la porte à double battant.

Ils parvinrent enfin à un immense hall de marbre, complètement désert qui faisait résonner en écho le moindre de leurs pas. La forteresse semblait abandonnée. Ils grimpèrent dans la tour sud de la citadelle sans rien n'y trouver. Tandis qu'ils redescendaient, Alagan eut soudain l'impression de lire une pensée en provenance de l'aile ouest. C'était la première fois depuis son arrivée sur l'île qu'il sentait à nouveau son don s'exprimer. Ils gravirent ensuite, une à une, chacune des trois cent quarante-sept marches de la tour ouest, et aboutirent finalement de longues minutes plus tard, devant une vieille porte en bois. Alagan fit grincer les gonds, et à la lueur de l'aube, réalisa qu'il se trouvait dans une chapelle aux vitraux multicolores. Ils s'avancèrent au milieu de la pièce. Au niveau de la nef se tenait un autel de granit blanc cristal, monté sur des marches. Il l'aperçut là, gisant sur le piédestal, drapée dans sa robe Amarante. La Dame était figée au point qu'il eut peur qu'elle soit morte. Il se précipita vers elle et lui prit la main. Sa peau était froide, mais il lui semblait pourtant percevoir un peu de chaleur au travers de ses doigts. Ce faisant, il étudiait ses traits fins et délicats.

Au sommet du petit escalier, un grand bassin d'eau semblait avoir été alimenté par une gargouille en forme de koalin. Il n'avait pas remarqué que, pour rejoindre la Dame Amarante, il avait mis les pieds dans un bain de lait coléineux. La substance lui arrivait au milieu des mollets et la migraine le reprit, plus violente que jamais. La douleur devint si forte, qu'il tomba à genoux, sur les marches du piédestal, loin de réaliser qu'il baignait dans la Source. Une brûlure vive le saisit à l'oreille. Un échauffement qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps enflamma sa nuque, puis, pris de vertige et de frissons, il s'effondra, évanoui.

Alagan. Les Mondes d'Édesse T1 [PUBLIÉ]✔️  #1 Best of the Books  - SF 2019 !Where stories live. Discover now