Chapitre 47 : Distance

57 2 1
                                    

Le soleil se réveillait, et elle restait dans son lit du quartier général de Stohess. Elle avait enfin un jour de repos après les innombrables témoignages que les membres du bataillon d'exploration avaient donné à la capitale.

Seulement, allongée dans ces draps, et vêtue de ce tissu fin, elle ne ressentait que la douleur qui régnait dans son ventre. Un creux s'était formé au fond d'elle, et tous les réveils, les jours et les nuits se ressemblaient.

Petra brulait de l'intérieur, et ses propres sentiments la consumaient en permanence depuis cette affreuse matinée. Elle souffrait, terriblement de devoir rester cloîtrée dans un silence glaçant à chaque fois qu'elle croisait son supérieur.

Lui, déambulait comme une âme errante dans ces couloirs interminables. S'extirper de son bureau était devenu une épreuve et lui demandait un effort considérable. Mais personne ne semblait le voir. Il portait constamment avec lui les dernières paroles de sa subordonnée à son sujet, celles qui avaient réduit en cendres les derniers morceaux de son cœur.

La rousse s'était recroquevillée sur elle-même, repensant à ces regards qu'il lui avait lancé lorsqu'ils se croisaient par hasard. Les quelques secondes durant lesquelles elle avait dû soutenir ses yeux bleutés et froids avait parut durer de longues heures.

Une fine larme coula sur sa joue, mais elle fît comme si elle ne l'avait pas senti. Un torrent d'émotions l'avait transporté ces derniers jours, elle était passée par la culpabilité, puis par la sagesse pour finir dans la profonde tristesse en restant isolée dans sa chambre.

Le pire dans tout ça, c'était qu'elle se doutait qu'il l'avait entendu, étant donné la distance qu'il avait aussitôt imposé entre eux le lendemain-même. Le jour qui avait suivi leur discussion surprise par Auruo, Livaï avait prit un thé dans la salle à manger, histoire d'occuper la nuit blanche qui l'attendait.

Mais alors qu'elle n'arrivait pas à trouver le sommeil en pleurant dans son lit, la rousse était arrivée silencieusement dans la pièce où régnait une atmosphère tendue, comme si une fenêtre était restée ouverte en plein mois de Décembre. Le brun s'était aussitôt machinalement levé, ne lui adressant aucun regard et en passant à côté de son épaule tremblante, encore secouée par ses pleurs.

« Je vois, alors c'est donc comme ça que tout va se passer, maintenant que tout est terminé... » Avait-elle songé en sentant une fine brise passer à côté d'elle, emportant son cher supérieur pour qui elle avait tant pleuré.

Elle savait que c'était nécessaire, elle devait ressentir une telle souffrance pour définitivement passer à autre chose, mais pourquoi fallait-il que ça fasse si mal ? Elle regrettait tellement ses sentiments, et à la fois, elle jouait encore d'un geste nerveux, avec son bracelet écarlate toujours accroché à son poignet pour qu'il ne la quitte jamais.

Mais ce matin, après la bataille, les interrogatoires, la fatigue et la distance, la seule vision de ce fil qu'il lui avait offert suffisait à faire jaillir encore plus de larmes. Elle pleurait en silence, n'ayant plus d'énergie pour sangloter comme elle avait pu le faire auparavant.

Une fente de lumière blanche transperçait la fenêtre, qui laissait la jeune femme entrevoir clairement le décor autour d'elle. Soudain, quelqu'un toqua à sa porte, et elle entendit son camarade parler d'une voix discrète et inquiète.

-Petra ? C'est Erd, nous avons fini de manger mais tu devrais descendre ça va refroidir. Déclara son ami qui était venu la chercher après ne pas l'avoir aperçu lors du repas.

Faiblement, la rousse soupira et se leva de son matelas pour ouvrir la fenêtre avant de laisser entrer le blond. Elle s'approcha enfin de la porte, et son camarade sembla encore plus inquiet lorsqu'il vit l'état de la rousse. Le retour au quotidien l'avait laissé rechuter brusquement dans son torrent d'émotions maussades et sombres, et c'était pour cette raison qu'elle portait ses cheveux en bataille, et ses vêtements de la veille alors que la journée était largement entamée. Le blond en face d'elle lâcha un soupir alors qu'elle ne le regardait même pas dans les yeux.

-Petra... Je peux savoir ce qu'il se passe ? Demanda-t-il avec un calme et un sang froid désarmants.

-Rien, je n'ai pas très bien dormi. Merci pour le repas, je vais descendre. Répondit Petra en se forçant à esquisser un faible sourire qui n'avait rien de sincère.

Alors qu'elle allait refermer la porte aussitôt, il posa sa main dans l'entrebâillement pour clairement lui signaler qu'ils n'allaient pas en rester là. Elle arrêta prestement de sourire, et le laissa entrer silencieusement dans sa chambre pour s'asseoir sur le matelas.

-Dis moi ce que tu veux, mais par pitié ne me raconte pas que tu as mal dormi. Je vois bien qu'il y a plus que ça. Affirma Erd en regardant sa camarade du coin de l'œil, essayant de percevoir un brin d'émotion en elle.

Il n'avait encore jamais vu une femme aussi souriante et rayonnante que Petra porter une telle expression. Elle n'exprimait rien, comme si un trop-plein l'avait entièrement vidé de son énergie et qu'elle luttait tout juste pour rester éveillée.

-J'ai une question Erd. Comment est-ce-que... tu réagirais si tu devais choisir entre le bataillon et ta femme ?

Cette question surprenante avait laissé le blond surpris puis perplexe. Il ne s'attendait clairement pas à une telle réponse et pourtant, lui qui se doutait de la situation avait vite comprit où elle voulait en venir.

-Je choisirai ce qui me rend le plus heureux, même si il ne faut pas se laisser aller dans la paresse, bien entendu. Mais, je crois aussi que, de temps en temps... il ne faut pas se poser trop de questions.

Petra tourna aussitôt la tête vers celle de son ami pour lui faire face. Elle avait déjà écouté son cœur, mais étrangement, la peur des regrets et de la culpabilité l'avait toujours empêché d'aller au bout des choses. Elle ne souhaitait pas faire la pire erreur de sa vie, et pourtant elle ne s'était jamais sentie aussi vide depuis cette distance.

-Tu sais, ce n'est pas grave d'être triste. Mais tu ne dois pas t'y forcer en pensant uniquement aux autres Petra. Pense à toi, et à ce que tu ressens, d'accord ? Déclara finalement Erd, conservant ses conseils de grand frère qui  tombaient à point nommé.

Elle acquiesça d'un mouvement de tête, plongeant à nouveau dans ses pensées suite aux sages paroles du blond. Dans ce lourd silence, il se leva et sortit de la pièce, lâchant un dernier regard pour la frange ocre qui tombait devant son visage inanimé.

Seule, dans cet espace qui l'étouffait, la soldate marcha en faisant grincer le sol sous ses pas, et ouvrit une bonne fois pour toute ces volets. Une vague d'air frais rendit l'air à ces poumons suffocants, et fit s'envoler une perle de larme dans une douce brise.

Tout était paisible, là dehors, et son cœur semblait battre un peu plus en sentant la fraîcheur sur sa peau blanchâtre. Sa chemise était ouverte sur son cou et libérait ses poumons de l'oppression qui les empêchaient de respirer librement.

Comme un vent qui l'avait soudain ranimé, elle était enfin sortie de sa chambre pour aller se laver. Elle ôta ses vêtements qui pesaient lourds sur son corps, et ouvrit finalement le robinet d'eau froide.

Elle ressentit un léger sursaut à ce contact glacial, mais finit par fermer les yeux sous le jet pour se concentrer sur ses vives sensations. Elle ressentait enfin plus qu'elle ne pensait, et après quelques minutes de soulagement, elle sortit enfin, la fine serviette entourant sa poitrine.

Sa douleur était loin de la disparition, mais au moins le passage sous cette douche avait réussi l'exploit d'apaiser la brulure intense qui consumait le cœur de la rousse depuis ces derniers jours. Plus légèrement, le lendemain, elle passa sa journée à aider les autres soldats restés sur place à nettoyer la ville avec, quelques membres des brigades spéciales.

Ils ne s'étaient même pas croiser pendant le grand rangement, et elle avait tout juste aperçu sa silhouette discutant avec les vétérans à la tête de leur groupe. Leur tâche s'était faite sans encombre, sous un ciel éclairé par un soleil de printemps.

Erd avait lancé quelques sourire bienveillants à sa camarade qui tentait tant bien que mal, de cacher son humeur morose. Une fois les débris dégagés, il retrouvèrent leurs lits qu'ils avaient emprunté dans la capitale, le temps des interrogatoires et des affaires judiciaires, mais contrairement à la nuit dernière, Petra dormit, et ceux même malgré les heures qu'elle passa à se tourner encore et encore sous ces draps lui ayant presque manqué.

𝔻𝔸𝕐𝕃𝕀𝔾ℍ𝕋  | Acte I : 𝓣𝓻𝓮𝓪𝓬𝓱𝓮𝓻𝓸𝓾𝓼Where stories live. Discover now