Chapitre 48 : Angoisses

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« Non, maman... Réveille-toi ! Ne me laisse pas ! Maman, je t'en prie réveille-toi ! Tu m'as promis que tu resterais ! Tu n'as pas le droit de me laisser tout seul ! Maman... »

Ses sourcils se défroncèrent après quelques battements de cils, et il finit par ouvrir les yeux doucement, trouvant encore face à lui cette même table, avec de nouveaux papiers.

Son front se crispa à nouveau lorsqu'il vit ses mains incontrôlables trembler sur le bureau éclairé par un raie de lumière. Livaï se saisit de son poignet, agacé et terrifié de voir réapparaître ces crises qui le réveillaient brusquement de ses pires souvenirs, pour le ramener à une réalité tout aussi terrible.

Les larmes déferlaient sur ses joues et il en ramassa une perle sur son doigt pour vérifier qu'il pleurait bel et bien. Il n'avait plus ressentit ces horreurs depuis des semaines, et le retour de ses angoisses montraient la réapparition de son état primaire, celui qui le poussait à n'être qu'un corps inexpressif rendant machinalement compte de ces rapports inintéressants.

De toute évidence, sa véritable nature resurgissait quoi qu'il advienne, sa faiblesse et ses pires peurs ne le laisseraient donc jamais en paix, elles qui le suivaient jusque dans ses courts sommeils.

-Maman... Se murmura-t-il à lui-même, dans un songe plus que dans une parole.

Pourquoi avait-il rêvé d'elle, et pourquoi maintenant, après sa froideur volontaire et obligatoire ? Si seulement il lui restait ne serait-ce que l'un d'eux pour lui indiquer une route à suivre, une voie pour s'échapper de ses tourments d'amour et de souffrance.

L'amour n'était-il pas sensé rendre heureux ceux qui le portent ? N'était-ce pas là son rôle le plus évident et admirable que de donner du bonheur ? Alors pourquoi, encore et toujours, devait-il être celui qui perdrait dans l'histoire ? Car il avait beau gagner toutes les batailles, il était faible, comme le plus simple des hommes, et il avait peur. Il en tremblait encore, il s'angoissait à l'idée que cette boucle infernale reprenne, sans rien à ses côtés pour le rassurer.

Toujours crispé, se tenant au rebord de la table, il observait sa main et sa vision se brouillant peu à peu.

« Arrête, Livaï je t'en prie arrête. » Pensait-il en sentant ses muscles se tendre dans l'entièreté de son corps.

Il finit son réveil difficile, assis dans l'ombre de la pièce, contre le mur. La porte était fermée à double tours, car il était absolument hors de question que quiconque parmi tous ces soldats restés sur place le voit dans un tel état. Il se disait souvent qu'il aimerait avoir une épaule sur laquelle pleurer, mais personne n'avait jamais eu cette attention si méticuleuse auprès de lui pour rester.

Un brusque souvenir lui revint soudain, de cette nuit de l'année 847, celle qui l'avait fait se lever tant elle avait horriblement commencé. C'était souvent la même méthode qu'employait son esprit pour le faire rechuter, des cauchemars, des réveils en pleine hallucination, puis des crises de tremblements et de sueur qu'il haïssait encore plus que tout le reste. Et cette fois là, il n'y avait pas échappé.

Ils étaient restés près des quartiers des brigades d'entraînement, lui et les autres vétérans. Et après son épisode d'angoisse, il n'avait pas trouvé la force de s'isoler dans la noirceur de sa chambre, et avait largement préféré les barbus saouls aux piles de documents qui le suivaient partout.

Il avait prit place dans ce bar miteux, et mal éclairé dans l'espoir infime de retrouver un calme spirituel acceptable. Et là, elle était arrivée. Dans cette tenue simple mais ravissante, avec son sourire à faire tomber et ses yeux pleins de vie. Il avait, à la seconde où leurs regards s'étaient croisés, su qu'elle avait ce pouvoir. Celui de rallumer la flamme éteinte en lui depuis longtemps.

Et il s'était enflammé, son cœur, lorsqu'il avait pu recueillir à nouveau, les étincelles dans ses yeux pour les conserver à jamais dans sa mémoire. Il les avait gardé envers et contre tout, pour ne pas oublier les battements au creux de sa poitrine.

La revoir, dans un uniforme semblable au sien avait réussi à changer la perception qu'il possédait de cette jeune femme aux cheveux roux et fins, s'emmêlant dans sa frange et derrière ses oreilles.

Résister lui avait semblé facile, mais qu'il avait été naïf, car même un homme qui n'avait plus la force d'aimer ne pouvait se retenir de tomber lorsqu'il rencontrait la personne capable de tout réparer.

Et elle l'avait fait, inconsciemment, mais avec une grande douceur et une grande tendresse, au contraire de lui qui s'était montré rude, et froid comme à ses habitudes. Mais il n'avait pu attendre plus pendant la nuit du réveillon de Noël, ou encore le mariage d'Erd, et même leurs innombrables soirées d'insomnies à discuter autour d'une tasse de thé.

L'idiot de caporal-chef qu'il était s'était même mit à se lever volontairement pour vérifier qu'elle ne l'attendait pas, dans le réfectoire ou dans la salle de réunion.

Seul, toujours assis sur le sol ne portant pas un seul grain de poussière, il se releva enfin, déverrouilla sa porte, et se rassit dans sa chaise. Mais ses yeux fatigués le laissaient observer inlassablement des papiers, qu'il ne lisait pas pour autant.

Soudain, une envie surgit en lui, et il sortit une feuille vierge de son tiroir.

Il écrivait soigneusement sur le papier jaunâtre, des mots qui n'étaient destinés qu'à elle. Il se disait qu'il ne pouvait rien faire d'autre que d'extérioriser ce qu'il ressentait à l'instant même, dans une lettre qu'il n'enverrait jamais.

Mais les mots se confondaient dans son esprit brumeux, et sa plume se stoppait prestement après qu'il ait gravé seulement un dixième ce qui lui pesait sur les épaules. Il plia avec soin la lettre, qu'il relut une dernière fois avant de l'emballer définitivement dans une enveloppe nouée.

Aucune adresse n'était indiquée, et seulement lui aurait reconnu qu'il s'agissait bien de son écrit. Il finit par l'enfoncer au fond de sa poche, à la droite de sa veste, qu'il laissa sur le dossier de sa chaise avec indifférence.

Malgré tout, Livaï se sentit plus léger après cette crise passagère, et réussit quelques peu à se replonger sérieusement dans son travail de rapports et d'études.

La journée passa, et le soir venu, il daigna descendre dans le réfectoire pour manger avec le reste du bataillon. La bonne humeur d'Hanji détendit presque ses nerfs et il remarqua pourtant l'absence de la subordonnée rousse qui lui manquait tant.

Il savait qu'elle l'avait évité autant qu'il l'avait fait ces derniers jours, mais ne plus la voir aux repas l'inquiétait, car tristesse ou pas, ils avaient tous besoin de reprendre des forces pour le combat.

Le repas fut rythmé par les débats déchainés entre Auruo et Erd qui ne s'accordaient pas sur la théorie à propos des réelles intentions du gouvernement à l'heure actuelle.

Mais lorsque le grand blond du groupe se stoppa dans leur conversation, Livaï concentra son attention sur le prénom que Gunther prononça.

-Dites, vous n'auriez pas vu Petra ? Elle n'est pas descendue ce matin, et on ne l'a vu qu'à l'entretien obligatoire du matériels. Ça ne vous inquiète pas vous ? Demanda le brun d'un air soucieux à ses coéquipiers qui lui jetèrent un regard compréhensif.

-Je ne l'ai pas vu ce midi non plus. Ne t'en fais pas, je vais voir comment elle va. Déclara Erd en couvrant le silence qui s'était installé à leur table.

Auruo mangea la dernière cuillère de son assiette, et se leva aussitôt.

-Attends, j'ai déjà terminé. Je vais aller la voir. Dit finalement le brun qui regardait avec insistance le caporal-chef, qui lui rendit rudement son coup d'œil désagréable.

Mais lorsque les paroles de Petra lui revinrent en tête, Livaï se leva brusquement sans rien dire, faisant se fixer sur lui les yeux des soldats surpris de son escouade.

Auruo le regarda une dernière fois, d'un air interrogatif, avant de tourner définitivement les talons pour aller retrouver la rousse qui était restée seule toute la journée.

𝔻𝔸𝕐𝕃𝕀𝔾ℍ𝕋  | Acte I : 𝓣𝓻𝓮𝓪𝓬𝓱𝓮𝓻𝓸𝓾𝓼Where stories live. Discover now