Chapitre 4

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Romy (1er septembre 2022)

Ça doit être la centième fois que je relis ma liste, que je vérifie que tout est bien rangé dans les deux sacs que je dois emmener aujourd'hui, que mes cheveux tombent harmonieusement sur mes épaules, que ma tenue est acceptable, et j'en passe. Si je ne m'étais pas retenue, j'aurais rempli six carnets différents rien que pour cette journée.

C'est aujourd'hui, c'est enfin aujourd'hui. On est jeudi, c'est la rentrée des classes, et l'entièreté de mon corps est partagé entre stress absolu et une impatience que j'avais encore jamais ressentie. Je suis presque sûre que c'est le même sentiment que la rentrée en tant qu'élève. Stress et impatience. Tu découvres juste que c'est réciproque quand tu deviens prof.

J'ai eu le concours, j'ai été affectée dans une école où j'avais peu de chance de l'être, j'ai eu les CP, et enfin, enfin, aujourd'hui c'est la rentrée. Et je vais les rencontrer, enfin. J'ai rêvé de ça tout l'été, depuis plus longtemps même. Y a pas une seule journée depuis que j'ai eu mes résultats, où je n'ai pas pensé à ce jour-là.

C'est la rentrée. Et à la façon dont Jarvis tourne autour de mes sacs avec un regard suspicieux depuis tout à l'heure, il a l'air bien moins heureux que moi.

- Profite, je m'accroupis pour caresser son dos, ce soir Jules rentre à la maison, c'est la fin de ta belle vie sur le lit. Je t'ai mis des croquettes, de l'eau, et ta litière est toute propre. Si tu veux commencer à te réhabituer à ta panière, je lui lance un sourire contrit, je te l'ai lavée avec la lessive que tu aimes bien, et je t'ai mis ton petit coussin rouge dedans.

Miaulement. Et c'est pas un miaulement satisfait, il est jamais satisfait de toute manière.

- À ce soir, je lui fais un dernier signe de la main avant de refermer la porte d'entrée derrière moi.

Et j'ai à peine descendue les premières marches pour aller chercher mon vélo, que mon téléphone vibre dans la poche de ma veste.

Jules : Y aura pas meilleure maîtresse que toi Rom', j'espère que tu sais ça.

Quand il me sort des trucs comme ça de nulle part, j'ai toujours la même réaction. Je reste immobile quelques secondes, le temps de vérifier que c'est bien lui qui a envoyé le message, puis mon sourire apparaît. Il aime pas ça, il est pas doué pour motiver, ni pour dire ce qu'il ressent, et c'est rare qu'il se rappelle de quel jour on est. Mais parfois, quand c'est notre anniversaire de couple, ou quand il y a quelque chose de particulier à célébrer, il me fait la surprise de s'en rappeler.

Et là, tout de suite, je crois que j'avais pas besoin de plus. Juste une petite dose de motivation externe. Je lui pianote un merci avant de reprendre mon chemin jusqu'en bas.

J'ai essayé de faire les choses du mieux que je pouvais pour que mes élèves se sentent à l'aise en classe aujourd'hui : j'ai été nettoyé un peu la salle hier après-midi, j'ai préparé une petite activité avec la liste des prénoms qu'on m'a donnée, j'ai demandé si j'avais le droit de leur ramener un goûter. Tout est clair, tout a été traité, tout est préparé.

Pourtant, même si j'ai l'impression d'avoir réfléchi à tout, quand je sors mon vélo sur le trottoir 5 minutes plus tard, le stress m'envahit quand même, ça commence à devenir réel.

Dans à peine une heure, ils seront devant moi dans la classe, et ils attendront que je lance la journée. Je réitère, j'hésite entre la peur et l'excitation, je vais essayer de me concentrer sur la deuxième.

***

Je pense que ma lèvre est en sang maintenant. Debout sur l'estrade, avec les autres professeurs autour de moi, on écoute le directeur rassurer les parents, amassés devant nous avec leurs enfants. Sauf que j'arrive pas à l'écouter, je suis trop appliquée à sonder la petite foule devant nous en essayant de deviner lesquels seront dans ma classe.

Eidos · Deen BurbigoWhere stories live. Discover now