Chapitre 60

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Romy

C'est sorti tout seul, j'ai pas vu le truc arriver. J'ai eu trop de trucs à tourner dans ma tête toute la journée, Isla était plus énergique que d'habitude, j'ai pas eu le temps de voir Mila à la pause-déjeuner, la photocopieuse ne fonctionnait plus, j'ai rien contrôlé. Quand il a haussé les sourcils, que j'ai vu sa mâchoire se contracter, que son commentaire il l'a fait à voix haute devant tout le monde, c'est sorti tout seul.

J'ai répondu à Mika. Durement, et méchamment.

C'est pas moi, ça me ressemble pas, et je l'ai bien vu quand la surprise s'est lue sur son visage, dans son regard, juste avant qu'il ne prenne en compte ce que je venais de lui sortir, et que ce soit la douleur qui vienne repeindre ses traits. Mila n'était même pas là à la sortie de l'école — et peut-être que c'est mieux comme ça en fin de compte —, mais ça veut aussi dire que c'était moi seule qu'il était venu chercher.

Et il est reparti sans moi. Pendant quelques secondes, peut-être 10 ou 20, il a attendu en silence que je rajoute un truc, que je m'excuse, que je donne une explication sur ce qui venait de se passer, mais même moi je savais pas quel genre de mouche m'avait piquée. Donc il a fait demi-tour, les mains dans les poches de son jogging, et je l'ai pas arrêté, parce que je savais ce dont il allait avoir besoin.

Une explication. Vraiment nette, précise, et sincère, sans long discours et sans hésitation, parce que c'est facile d'oublier comment il est quand il est saoulé, vu que tout se passe si bien entre nous d'habitude, mais ça change rien au fait que Mikaël reste Mikaël. En temps normal, je suis juste exempté de son tempérament explosif parce qu'il a pas besoin de l'être avec moi. Pas aujourd'hui.

Je décolle mon visage humide de la couette quand le miaulement de Jarvis arrive jusqu'à mes oreilles.

- Pas maintenant, je soupire en le voyant attendre, assis sur le seuil de la chambre.

Je suis rentrée en métro et en bus. Je sais pas réellement à quoi je m'attendais, mais probablement à ce qu'il soit rentré à la maison, et qu'on puisse parler. Et qu'il puisse comprendre mieux que moi, juste en me regardant dans les yeux, que ce que je lui ai dit, je le pensais pas. C'était beaucoup trop naïf de ma part. L'appartement est toujours aussi vide que quand j'ai poussé la porte d'entrée tout à l'heure. Milou est chez Eff jusqu'à au moins 19h, et j'ai aucune idée d'où Mika est parti.

Toujours aucune idée aussi de ce qui a bien pu me passer par la tête pour que j'en vienne à être si dure avec lui, alors qu'il est parfait depuis littéralement le jour où je l'ai rencontré. Il mérite vraiment aucune colère, aucun irrespect, j'ai jamais eu la chance d'avoir une personne aussi droite et attentive de toute ma vie. Encore moins en considérant que la personne en question sort avec moi.

C'est d'autant plus douloureux quand Jarvis finit par me rejoindre sur le lit, parce que ça me confirme juste à quel point je me mens à moi-même : bien sûr que je sais ce qu'il s'est passé. Comment je pourrais oublier le mélange d'émotions que j'ai vu passé sur le visage de Lili hier matin, quand Milou a mentionné mon petit-frère et Jarvis dans la même phrase ? Et comment tu oublies aussi la manière dont elle a quasi disparu dans la cuisine la seconde d'après, pour ne réapparaître que 30 minutes plus tard, bien plus froide et neutre qu'elle ne l'était déjà avant ?

- Qu'est-ce que je fais mal Jarvis ? Je le regarde venir frotter le dessus de sa tête contre mon genou. Tu la connais, non ? Lili.

C'est ça qui a emmêlé mes pensées dans ma tête toute la journée, me donnant de moins en moins de ressources pour le reste au fur et à mesure que les heures passaient. J'ai failli reprendre Isla sur sa manière de ranger les documents dans les pochettes plastiques, je suis presque sûre d'avoir remis les enfants à leur place bien moins délicatement que d'habitude, et le clou du spectacle, j'ai blessé Mikaël.

Eidos · Deen BurbigoWhere stories live. Discover now