Chapitre 57

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Romy

C'est égoïste et pas mérité. Ce que je cherche, debout sur le fauteuil du bureau de Mikaël, les bras tendus pour atteindre la plus haute étagère, c'est égoïste et pas mérité. Y a que les premières que j'ai lues en ayant l'impression qu'elles étaient pour moi, toutes les suivantes, leur lecture m'a fait paraître étrangère, pas à ma place, comme si on m'avait offert une médaille que quelqu'un d'autre avait gagnée.

Ça m'empêche pas d'enfin mettre la main dessus quelques secondes plus tard, quand mes doigts frôlent le tissu brodé de la petite pochette dans laquelle je les ai glissées. Mikaël n'a pas posé plus de questions que ça quand je lui ai confirmé que c'était pas grave si mes anciennes affaires n'étaient pas facilement atteignables, compte tenu de ma taille, et de la hauteur de ses étagères.

La vérité Mika, c'est que je savais qu'elles étaient mieux loin de moi. Et tu n'as évidemment omis aucune opposition, parce que dans le carton juste à côté, y a encore toutes les affaires que je partageais avec Jules, si ça ne tenait qu'à toi tu les aurais jetées, la plus haute étagère était le meilleur compromis.

L'expression "ne pas savoir sur quel pied danser" prend tout son sens quand je me retrouve debout au-dessus du vide, la pochette contre ma poitrine, et que je suis tellement à l'ouest, que mon cerveau n'arrive pas à calculer quel pied bouger en premier pour que je me retrouve sur le parquet à nouveau. Ou plutôt, je sais pas si je dois redescendre. Est-ce que c'est pas justement mieux si je repose la pochette avant ? Si je descends les mains vides ?

Je suis même pas censée être ici. J'avais dit à Mila qu'on mangerait toutes les deux ce midi, parce que le retour à l'école la stressait un peu, mais à la place, je me retrouve ici à la pause-déjeuner, à mettre les mains dans des affaires qui auraient dû rester à leur place, je le sais.

Mais est-ce qu'au final, si la pochette n'est pas à sa place contre moi, et que moi je me sens pas à ma place non plus, on n'est pas à notre place ensemble ?

J'ai pas la réponse à ma question, parce que la seconde suivante, la porte d'entrée claque, et c'est tout ce qu'il me faut pour perdre l'équilibre, que le fauteuil de Mika se mette à tourner sur lui-même, et que je me retrouve au sol dans un bruit sourd. Je prête même pas attention à la douleur dans le bas de mon dos quand j'entends les pas de Mikaël remonter le couloir.

- Jarvis wesh, tu fous quoi encore ? Il grogne. J't'avais dit que rentrer dans le bureau c'était une putain de déclaration de guerre.

Je sais pas ce que je crois que je fais quand je me glisse difficilement du milieu de la pièce jusqu'à derrière son bureau, parce que c'est évidemment qu'il va pas juste ignorer le bruit qu'il vient d'entendre en trouvant son siège contre la bibliothèque et la pièce vide.

La seconde suivante, c'est fini, la plinthe à l'entrée du bureau craque, j'ai pas besoin de le voir pour savoir qu'il est debout sur le seuil, et il m'en faut pas plus pour lâcher les larmes que je retiens depuis ce matin.

- Jarvis ? Il souffle, en dépassant le seuil. T'sais que j'fais grave des efforts pour qu'on s'entende, c'était grave ienb cette semaine, t'en faisais aussi wesh. T'as pas kiffé notre sieste sur le canapé ?

J'arrive même pas à sourire un minimum en apprenant des trucs dont j'étais pas au courant. Et j'ai encore moins envie de sourire quand mon regard croise le sien dans le reflet du bois vernis de la bibliothèque.

- Romy ? Il lâche sa veste qu'il avait sous le bras sur le canapé à côté de lui, avant de s'accroupir devant moi, l'air bien plus pâle et les sourcils froncés. Wesh, il passe son pouce sur ma joue, et son expression ne s'améliore pas quand il le retrouve mouillé. C'était quoi le bruit ? T'es tombée ? Il parcourt mon corps du regard, et la douceur extrême avec laquelle il pose sa paume dans le bas de mon dos me donne juste envie de pleurer un peu plus.

Eidos · Deen BurbigoWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu