Chapitre 13

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Romy (14 avril 2023)

Il est pas là ce soir, Jarvis en profite pour m'observer depuis le lit.

Et à vrai dire, je sais même pas où il est. J'ai pas de mots ou de phrases pour réellement décrire les semaines qui viennent de s'écouler, mais ça s'apparente quand même largement à une chute libre avec un semblant de parachute pour la ralentir un peu.

Mais je chute quand même. Avant d'arriver sur Paris, tout a toujours été si stable, que j'ai jamais douté du fait que ça pourrait changer un jour : j'avais fini par arrêter de réellement compter les années depuis notre premier rendez-vous, j'avais commencé à me dire qu'on allait enfin envisager de se marier. Les disputes étaient quasi-inexistantes, les conversations n'avaient jamais de limites, j'avais rien à demander de plus que ce qu'on avait, Jules et moi.

Puis, même si j'ai refusé de le voir au départ, la situation a fini par se dégrader. Ça a commencé tout doucement, par des petites disputes à droite et à gauche, les remarques de Lara qui se sont lentement imprimées dans mon esprit jusqu'à ce que je finisse par voir de quoi elle parlait dans mon quotidien avec Jules, les crises de jalousie qui se multipliaient, les sorties avec ses potes.

C'est tellement arrivé progressivement que j'ai rien vu venir. C'est comme si peu à peu, on avait ouvert les portes de l'avion, en me poussant doucement sans que je le remarque, jusqu'au bord du vide. Jusqu'à ce que Jules me lâche carrément dans le ciel quand je lui ai parlé de mon envie d'être maman. Je crois qu'à ce moment, y avait plus de filet, et que mon parachute ne s'ouvrait qu'à moitié.

Jules a essayé d'amortir la chute, et j'y ai cru pendant plusieurs semaines : il était redevenu aussi doux qu'avant, il sortait moins, j'avais plus le droit à aucune dispute à chaque fois que je rentrais un peu plus tard le soir.

Jusqu'à hier soir au moins. Parce que j'ai pas réussi à rentrer directement à l'appart après la sortie des classes, j'ai été faire un large détour pour réussir à me vider l'esprit. Il a conclu, en me voyant rentrer encore plus tard, que j'étais juste resté encore plus longtemps à l'école. Puis il est parti en claquant la porte, quand je n'ai pas su lui donner d'explications.

Mais Jules, c'est parce que je n'en ai pas moi-même, des explications.

Parce que comment expliquer qu'il a suffi que Mikaël me sorte juste quelques mots, alors qu'il en sort d'habitudes des milliers et des milliers chaque soir, pour que je n'arrive plus à réfléchir correctement ? Et que je sois obligée de tourner en rond dans Paris pour pouvoir rentrer à l'appart sans avoir l'air complètement débile ?

Je sais pas quoi répondre.

Mais Mikaël lui, sait toujours quoi dire depuis plusieurs semaines, il arrive toujours à le caler au moins une fois dans nos conversations. Je lui plais. Sauf que l'issue est toujours la même : j'ai rien à lui répondre. Jusque-là, quand il comprenait que j'allais rien dire, il finissait juste par changer de sujet. La conversation reprenait son cours, et il me faisait rire à nouveau.

Mais ce soir, il est parti sans rien dire. J'ai longtemps senti son regard sur moi en attendant que je lui réponde, puis il a fait demi-tour sans rien dire, après avoir appelé Mila, et pris sa main dans la sienne.

- Non non, je me mords la lèvre en sentant mes yeux me piquer à nouveau, non.

C'est ça que je n'aurais pas pu expliquer à Jules : j'ai vraiment très mal, le demi-tour de Mikaël a fini de me faire chuter jusqu'au sol. C'était la seule chose à laquelle je me raccrochais encore, à côté du patin et de Lara, et j'ai une peur bleue de l'avoir perdu.

Eidos · Deen BurbigoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant