Chapitre 54

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Romy

Je vais finir par casser le Tupperware. Assise sur le petit banc dans le couloir, juste devant la salle de classe de Mila, le temps paraît interminable, j'ai limite l'impression qu'il s'est figé. Et j'ai raté aucun des regards que le gars qui répare les chauffages m'a lancés en passant devant moi plusieurs fois, sûrement dérangé par le bruit plus que régulier que je fais en ouvrant et en refermant le couvercle du déjeuner de Milou. C'est le seul truc que j'ai trouvé, pas pour faire passer le temps plus vite, mais pour surtout ne pas entendre les dizaines et les dizaines de pensées qui me tordent l'esprit depuis ce matin.

Ou plutôt depuis que j'ai dû lâcher le calme, la douceur et la chaleur des bras de Mikaël au moment de commencer la classe. Je sais pas si un jour, j'ai connu un au revoir plus difficile que celui-là, si on décompte l'adieu de mon petit-frère. C'est toujours aussi dur d'avouer que quitter Jules par contre le matin, ou avant de partir quelque part sans lui, ça n'avait rien de compliqué, rien de douloureux, c'était juste normal et sans profondeur.

Ce matin, j'aurais pu tuer pour deux minutes de plus à écouter Mika murmurer dix autres façons de me dire je t'aime, ou de me promettre que tout ira bien, qu'on sera heureux quoi qu'il arrive. Il a pas arrêté depuis cette nuit, de me répéter à quel point j'ai été courageuse, à quel point je le suis toujours, mais je suis pas sûre qu'il se rende compte que c'est surtout lui qui ne plie pas d'un millimètre. Pourtant c'est la première fois qu'il vit un test négatif avec moi, et je peux pas dire que j'ai rebondi aussi bien que lui la première fois. Vraiment pas. Mais comme si c'était facile et évident, il a juste continué à être lui tout craché : il a retiré le positif de ce qu'il s'est passé, et il a commencé à prier et à se mettre au travail pour que ça se passe mieux la prochaine fois. Tout ça en 25 minutes max.

Je sais pas si un jour je pourrais être autre chose qu'impressionner par Mika, il brille beaucoup trop fort, et après il s'étonne que Milou soit un soleil. Elle copie juste son papa, et moi je vais lui donner quoi ? Des nuages. Pour l'instant, que des nuages, je couvre leur lumière avec mon stress et tous mes problèmes.

Je finis par relever les yeux quand la porte de la classe de Mila s'ouvre devant moi, laissant passer un ras-de-marrée de petites têtes, jusqu'à ce qu'un amas de boucles blondes apparaisse, suivi de mon soleil.

- Maman, mes joues me chatouillent quand Milou vient se nicher dans mes bras.

J'ai rien dit hier soir, quand Mika m'a dit qu'il trouvait ça mignon qu'elle m'appelle Maman, mais que maintenant il était prêt à plus. Mikaël, c'est tellement plus que juste mignon, même après des semaines, ça me touche toujours autant. Y a tellement d'enfants qui prennent des années avant de pouvoir sortir ce mot à un adulte, et Mila en aurait parfaitement le droit après tout ce qu'elle a vécu. Sauf qu'elle a choisi de m'appeler comme ça quand même. Tous les jours. Et elle me donne beaucoup plus que juste un surnom : des câlins, des moments avec elle devant la télé, des sourires, des bisous, elle remplit mon verre de jus d'orange avant de remplir le sien, j'ai une myriade de bracelets à mon poignet, sur les lanières de mes sacs, et tout un tiroir du dressing juste pour ça.

- Tu manges avec nous Tan ? Je laisse Mila grimper sur le banc pour me faire un bisou. J'ai demandé à ta maman tout à l'heure, et j'ai préparé des spaghettis.

C'est tout ce qu'il faut à ses grands yeux bruns pour se mettre à briller, et pour qu'il vienne tapoter mon genou en sautillant.

- Avec l'herbe de Yaya-Yaya ? Il sourit.

- Oui, je rigole, et c'est limite s'il part pas sans nous avec les Tupperwares. Milou ? Je l'aide à redescendre du banc avant de suivre Thanos dans le couloir. On appelle Mamie pour lui demander si on peut venir pour Noël ?

Eidos · Deen BurbigoWhere stories live. Discover now