Chapitre 40

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Romy (premier week-end après la rentrée)

Il me juge, j'ai aucun doute là-dessus. Ça fait vingt minutes qu'il m'observe tourner en rond dans l'entrée, y a pas de doute, il me juge.

Et il a raison de le faire, je suis à deux doigts d'à nouveau faire une bêtise, je le sais. J'ai pas réussi à avoir une seule nuit correcte depuis la rentrée scolaire, tout se bouscule dans ma tête à une vitesse que je ne peux pas contrôler, et y a rien pour me calmer. J'ai essayé les listes, j'ai essayé de tout poser sur le papier, sur des post-its, j'ai tout essayé.

Y a juste trop à analyser, trop à anticiper. Alors ce matin, même si je fais tout pour écarter cette solution, j'ai craqué, j'ai envisagé de fuir à nouveau. Rien que le fait de l'avoir imaginé, de l'avoir pensé, ça me donne l'impression d'avoir trahi Mika, d'avoir trahi Mila, et c'est pour ça que je suis toujours en train de tourner avec mon sac dans l'entrée : je me sens déjà bien trop fautive pour envisager de faire demi-tour, de me recoucher avec lui, et de lui expliquer ce que j'ai failli faire.

Et ça me donne juste envie de pleurer. J'ai rêvé de ce que Mika m'offre pendant des années, j'ai jamais été aussi à l'aise près d'un homme, j'ai jamais eu ce que me donne Mila. Pourtant, à chaque pas qu'on fait ensemble, c'est le même schéma qui se répète : je me sens dépassée, les pensées s'agitent dans ma tête, et la seule solution que je vois, c'est fuir.

Solution inutile en plus, parce qu'à chaque fois, Mika finit par venir me chercher, et ça va mieux après. Sauf que ce matin, je suis consciente de ça, j'ai pas envie de partir. J'ai envie d'être là quand il va se réveiller, j'ai envie de préparer le petit-déjeuner de Mila avec lui, j'ai envie qu'on s'installe tous les trois devant la télé comme hier matin.

Et étonnamment, Jarvis a l'air d'être d'accord avec moi, parce qu'il ne m'a pas lâché des yeux depuis que je me suis approchée de la porte d'entrée. Il vivait sa vie tranquillement pendant que j'étais à la salle de bain, pareil quand j'étais à la cuisine, mais il a suffi que je m'approche dangereusement de l'entrée avec mon sac sur l'épaule, pour qu'il débarque en trottinant pour se placer entre moi et la porte.

Parce que même si c'est la guerre froide entre lui et Mika, il sait que fuir serait une bêtise.

- Mais j'ai peur Jarvis, je soupire en m'asseyant sur le petit pouf près du placard à chaussures. Ça va trop vite, j'arrive pas à tout analyser.

Sans trop de surprise, il ne me répond pas, il continue juste à m'observer, bien posté contre la porte d'entrée. Maintenant que je suis assise aussi, tout ce qui m'agite depuis des jours remonte à la surface : Mila sur mes genoux hier midi quand on est sorties manger au restaurant avec Isla, le froid des chevalières de Mika contre la peau de mes hanches hier soir, les paroles du générique du dessin animé préféré de Mila, les mots de Mika à mon oreille sous la douche hier matin, le rire de Mila quand je me suis mise à la poursuivre parce qu'elle avait piqué un tube de paillettes dans ma classe, le sourire de Mika quand on lui a sauté dans les bras à la sortie des classes.

- Vas-y Jarvis, mes joues chauffent instinctivement quand la voix de Mika sonne derrière moi, merci, j'vais gérer la suite.

Mon chat ne bouge pas tout de suite, il ne lève même pas les yeux vers mon copain, il les garde sur moi. C'est seulement quand je l'observe en retour, qu'il se décide à lâcher sa position devant la porte d'entrée pour se glisser jusqu'au salon.

J'ai pas le courage, j'aurais pas le courage de le regarder dans les yeux, il sait pertinemment ce que je m'apprêtais à faire.

- S'il t'avait pas arrêtée, tu serais partie ? Mes paupières se ferment d'elles-mêmes quand il pose la question que je tourne en boucle dans ma tête depuis 25 minutes.

Eidos · Deen BurbigoWhere stories live. Discover now