Chapitre 7

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Je me rends au travail avec difficulté.  J'ai toujours été maître de moi-même, rien ne m'atteignait. Je suis imperturbable.  Sean Millers met à mal l'image que je me suis construite ces dix dernières années. J'enfile ma blouse, je me saisis de ma tasse de thé, je souffle avant de frapper.

Il est en train de lire, il pose ses yeux sur moi. Il referme son livre et il me fixe. Je m'assois.

— Bonjour Sean.
— Hailey.
— Comment allez-vous?
Il sourit.

— Comme un sociopathe dénué de toute émotion. Je peux faire semblant d'éprouver « des émotions » pour aller dans votre sens.
— Non vos tentatives de manipulations resteront vaines.
Il rit et se redresse.

— Je peux néanmoins te confirmer que mon envie de te faire mienne est intacte.
— Pourquoi mutilez-vous vos partenaires?
— Parce qu'elles le veulent.
— Elles le veulent? Vous assouvissez des pulsions?
Il rit de plus belle.

— Je n'assouvis aucune pulsion.
— Manipulez-vous vos victimes pour éprouver vos pulsions?
— Hailey...
Il s'approche de moi. Il me saisit le bras et me relève.

— Lâchez-moi Sean!

Il approche son visage du mien, il hume mon parfum. Ma respiration est saccadée. Il pose son front contre le mien, sa bouche n'est plus qu'à quelques millimètres de la mienne.  Je suis incapable de bouger, je suis dans l'attente. Il approche ses lèvres près des miennes, il les effleure, je ferme les yeux. Il s'éloigne, j'ouvre les yeux et reprends mes esprits.

— Vous parlez de cette manipulation?

Je suis hagarde, je touche mes lèvres.  Je sors de sa chambre. Je reste prostrée dans mon bureau, à refaire la scène dans ma tête.

Le reste de la matinée, je reçois Andreane.  Le dosage du traitement est suffisant, elle n'entend plus de voix, sa lettre est cohérente. Je lui conseille de l'envoyer à sa fille. Je lui fais une séance d'hypnose, pour gérer son anxiété, elle se sent beaucoup plus légère.

Je rejoins la salle commune. J'informe Zak Nevers, que son dossier sera soumis au staff fin de semaine, il est reconnaissant.  Sean m'observe avec ce détachement qui le caractérise. Je garde mes distances, sa proximité met à mal mes barrières.
Je me ressaisis, je rejoins d'autres patients. Il détourne ses yeux vers l'extérieur.  Les patients rejoignent leur chambre. Il passe à côté de moi, me bouscule et dépose un papier dans ma main.

Je rejoins mon bureau, déplie le papier et lit le mot:
« Je n'aime pas, particulièrement les gens ,
Je les aime en particulier, seulement ».

Je tape sur un moteur de recherche, c'est un poème français de Victor Noir dont le titre est « sociopathe ».

Il joue avec mes nerfs, une psychologie inversée. Le malade prend la place du docteur. Il connaît ce schéma, il est chirurgien, il connaît les bases de la psychiatrie.  Je suis forcée d'admettre qu'il est très fort.

Je rentre perturbée par ce patient atypique.
Roy est chez ses parents, il ne rentre pas dormir. Il est fâché depuis que j'ai prétexté une fatigue pour me refuser à lui, j'ai des remords.

Je farfouille sur internet, je tape spontanément le nom de mon patient. Un compte d'un réseau social est à son nom. J'ouvre la page, c'est son compte, je fais défiler ses statuts sur son mur. Il semble avoir un train de vie élevé, il ne se refuse rien, vacances, voitures et femmes.  Je tombe sur la photo du serment d'Hippocrate, il affiche un sourire de circonstance.  Je me déconnecte, je continue de feuilleter mon livre.
Mon téléphone sonne.

— Allo.
— Hailey.
— Qu'est-ce que tu veux Sean? On ne peut pas continuer ce petit jeu. Je suis ton psychiatre.
— Tu n'es pas dans ton putain de bureau de cinglés. On va continuer ce petit jeu jusqu'à ce que tu sois à moi.
— Ça ne sera jamais le cas.
— Tu en es vraiment sûr Hailey. Ce n'est pas l'impression que tu donnais dans la chambre.
— Je ne donnais aucune impression.
— Je suis peut-être dénué de toute émotion. Mais j'ai appris à les reconnaître. Tu mourrais d'envie que je t'embrasse.
— C'est faux.
Il rit.

—Bientôt Hailey, ça sera toi qui me supplieras de le faire.
— N'y compte pas trop.
— Comment était ton enfance Hailey ? Ils t'ont toujours mise à l'écart. Tu étais le vilain petit canard, la paria.

Il raccroche, je m'effondre. Il lit si facilement en moi. Sa dernière phrase tourne en boucle dans ma tête, une envie soudaine de mutiler me prend. Je chasse cette pensée négative, obsessive, je ne dois plus recommencer ces rituels d'automutilation. Je pratique une séance d'autohypnose, je me détends, ma respiration reprend son rythme habituel.

PSYCHOWhere stories live. Discover now