Chapitre 39

21.5K 1.3K 22
                                    

J'enchaîne exceptionnellement avec ma journée de travail. Un collègue s'est porté souffrant.
Antoine ouvre la porte de mon bureau sans frapper.
Je relève ma tête vers lui, médusée par les libertés qu'il s'octroie avec moi.

— Antoine?
— J'avais envie de te voir.
— D'accord euh...

Moment gênant de la matinée. L'envie n'est pas partagée, je ne rêve que d'une chose: rejoindre Sean. Je ne laisse rien paraître, je souris faussement.

— Tu m'accompagne en salle commun?
J'aimerais qu'on discute de certains patients.
— C'est le rôle du staff ça.
— Allez Hailey.

Je déteste la façon dont il prononce mon prénom. Je me lève et le suis jusqu'à la salle commune. Sean n'est pas là, je suis déçue, mais je ne le montre pas. Finalement, je veux voir comment Antoine travaille avec ses patients.

Il s'approche d'une schizophrène, qui s'est déclarée après sa première injection d'héroïne. Elle voit des cadavres, son traitement n'est toujours pas stabilisé. Les crises sont encore trop importantes, elle porte une camisole, elle me rappelle Andreane.

Il la mise sous neuroleptique à effet immédiat. Ce qui me dérange, c'est qu'il lui a prescrit un antipsychotique typique. Il ne traite pas les effets négatifs de cette pathologie, ils agissent en bloquant la dopamine. Je lui suggère fortement de la mettre sous antipsychotique atypique dit de deuxième génération. En plus de bloquer la dopamine, il bloque les messages chimiques du cerveau. Il traite à la fois les effets négatifs et positifs de cette maladie. Je ne pense pas que ce soit de l'incompétence. Il le fait volontairement. N'importe quel jeune psychiatre aurait prescrit en première intention des antipsychotiques atypiques.

— Un psychiatre nul à chier qui se fait guider par une psychiatre frigide.

Je souris fugacement, c'est Sean.

— Ça te dit le cinglé une petite camisole accompagnée d'une injection de benzodiazépine?
— Va te faire voir connard.

Il appelle les infirmiers, je panique, Sean me fixe indifférent. Les infirmiers arrivent, je m'interpose, c'est mon patient. Il n'a pas à subir la vengeance « d'un psychiatre nul à chier ». Je renvoie les infirmiers, Antoine voit rouge.

— Fais gaffe Hailey, il risque de prendre ses aises avec toi. Ce genre de cinglé rentre dans ton cerveau et te détourne de la réalité.
— Merci Antoine pour ton conseil. J'en prends note.

Sean regarde par la fenêtre, il ne prête plus attention à ce qui se passe ici. Je donnerais tout à cet instant pour connaître ses pensées les plus profondes.
Je rejoins mon bureau. Je m'occupe de mes deux psychanalyses matinales et j'en profite pour discuter avec le nouveau chef de service. Je souhaite qu'il réadapte le traitement de la patiente d'Antoine. Si les nouvelles consignes viennent de lui, il ne m'en tiendra pas rigueur.

Je rejoins Sean pour sa séance de psychanalyse, il est sur son ordinateur. Il travaille sûrement pour son infiltration.

— Que puis-je faire pour toi « Hailey »?
Il détourne l'attention.

— Tu étais quel genre d'enfant?
— Un enfant un peu comme toi, sans repère, seul.

Je me décompose, il réussit à m'atteindre dès qu'un mot sort de sa bouche, il me touche .

— Ta solitude, l'as-tu ressenti ou subi?
— Les deux.
— Tu as suivi une psychanalyse?
— Oui.
— Jusqu'à quel âge?
— Quinze ans.
— Tu veux me parler de la cause ?
— Tu la connais déjà.
— Non, elle n'est pas retranscrite dans ton dossier.

Il reste dans son mutisme, il ne souhaite plus parler de son enfance.

— Et toi Hailey, quelle enfance as-tu eue avec ce genre de père?

Deuxième coup de poignard, je suis envahie par des flashs de mon enfance, avec un père qui soignait les autres au détriment de sa fille. Les envies de scarifications reprennent. Je laisse venir cette image, je ne dois pas la renier, elle fait partie de moi.

— Je t'interdis de le faire.

Il lit encore en moi, il me tire dans ses bras. J'ai l'impression de perdre la tête, il est mon bourreau et mon sauveur à la fois.

— Pourquoi tu fais ça Sean? Tu retournes la situation à ton avantage.
— Il le faut. Ne touche pas à ce qui ressemble de près ou de loin à une lame!
— Sinon tu feras quoi?
— Je me l'infligerai.
— Quoi?
Je le regarde avec curiosité.

— Je calquerai chacune de tes émotions sur moi.
— Non, tu ne peux pas me faire ce genre de chantage.
— La séance est terminée Hailey.

J'ai encore cette impression d'avoir subi la psychanalyse. Je commence à ne plus savoir où j'en suis et vers quoi je vais.

PSYCHOTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang