TOME 1 - La Merveille de Luiset Madison -

2.9K 241 327
                                    


Couverture (créée à partir d'une illustration de Selina Fenech) :

Couverture (créée à partir d'une illustration de Selina Fenech) :

Oops! This image does not follow our content guidelines. To continue publishing, please remove it or upload a different image.


 
PROLOGUE



Aveuglé par la sueur et le sang qui striaient ses paupières, il espérait toujours échapper à l'homme en noir.

Le chasseur ne montrait aucun signe de faiblesse.

– Arsène, tu ne pourras pas nous échapper !

Le pauvre homme savait qu'ils le traqueraient dans le bois sombre jusqu'au bout.

Il se faufilait entre les branches acérées. Le feuillage absent ne pouvait le dissimuler aux yeux de ses prédateurs. Et malheureusement la nuit ne serait pas son alliée non plus : les rayons de la pleine lune inondaient déjà la terre parsemée d'arbres nus comme autant de croix de bois au-dessus d'un champ de morts. Les minutes lui semblaient éternelles. La mauvaise fortune s'abattit sur lui lorsque son pied trébucha sur une pierre. Il dégagea une mèche poisseuse de son œil, émit un grognement puis s'ordonna :

– Lève-toi ! Bon sang, lève-toi !

Le bruit des sabots s'intensifiait, tel le roulement de tambours funèbres. Arsène reprit foi en son salut lorsqu'il aperçut une grotte derrière un chêne. Mais aurait-il seulement le temps de l'atteindre ?

Il n'avait plus qu'une centaine de mètres à parcourir pour s'y réfugier. L'espoir augmenta sa cadence. Il resta indifférent aux signes de détresse lancés par sa cheville. Mais soudain, une autre douleur lui déchira le cou. Quelque chose avait coupé la chair en laissant, tel un baiser venimeux, une sensation de brûlure ardente. Il pressa sa main en continuant d'avancer, ralenti dans sa course effrénée. La traque arrivait à son terme.

Le bruit des sabots cessa et il entendit la complainte des feuilles mortes sous les bottes du cavalier qui venait de descendre de sa monture. Arsène se retenait sur l'arbre millénaire. Son haleine rencontrait l'écorce en nuages turbulents. Il se retourna pour s'adosser au tronc et ses jambes arrêtèrent de le porter. Il leva la tête pour faire face à son agresseur.

Le traqueur était fin et élancé. Son visage, à peine dissimulé par un couvre-chef, était parfaitement calme malgré son pas rapide. Il se posta juste devant lui et fut rejoint par ses deux comparses. Les trois hommes portaient les mêmes habits sombres mais il n'y avait aucun doute possible quant à leurs rôles. Bien que plus âgés, les bras droits restaient derrière leur maître, attendant ses ordres. La brindille noire s'assit en tailleur devant lui.

– Belle partie, Arsène, déclara-t-il comme s'ils venaient de terminer un jeu dont la dernière manche avait été serrée.  

– Mais, mais... qui es-tu ?!

– Je suis Piotr Vallas.

– C'est donc vous. Aaah...

– Cette blessure au cou ... dit-il en dégageant délicatement le col pour mieux voir.

Il croisa le regard de Piotr. Le monstre semblait se délecter de sa terreur. Arsène était désespéré, conscient des forces qui s'enfuyaient de son corps meurtri. Sa peur était décuplée par la voix douce de son agresseur et de sa violence calme. Il savait que personne ne viendrait à la rescousse. Piotr se leva pour ramasser un disque en fer qui s'était planté dans le sol plus loin : l'arme dont il s'était servi pour mettre un terme à sa fuite. Le sang frais coulait encore des bords du disque. Il leva gracieusement son bras, sans effort, pour lancer à nouveau l'objet affûté qui vint se planter dans l'épaule de sa cible. Son cri déchira le silence mais l'astre argenté ne dévoila que les traits imperturbables de l'homme en noir.

– Dis-moi où se trouve l'objet !

Arsène voulut lui cracher au visage mais ne parvint qu'à se baver dessus. Il attrapa des cailloux pour les lui jeter. Impassible, Piotr esquiva sans mal et sortit de sa longue veste deux disques plus petits pour lacérer ses genoux. Il en eut la respiration coupée et malgré la douleur fulgurante, il ne put faire sortir aucun son de sa bouche béante.

– Où se trouve l'objet ?

Il ne répondit pas, grimaçant de tous ses muscles. La souffrance avait volé sa voix, sa raison, sa respiration.

– Peut-être suis-je trop impatient. Faisons une pause.

Sa silhouette d'allumette noircie s'éloigna et il sortit un porte-cigarette. Il embrasa l'extrémité, bientôt rougie par la première bouffée. Pendant plusieurs minutes, on entendit seulement le bruit du vent, les expirations du fumeur et les grognements de la victime. Même les oiseaux nocturnes n'osaient chanter. Puis il jeta son mégot et rangea le porte-cigarette doré dans sa poche.

L'homme sanguinaire revint vers le blessé que le souffle de la vie commençait à quitter.

– Ça devient plus intense, non ?

Un râle fut sa seule réponse. Les plaies sur son cou, son épaule et ses genoux étaient devenues un foyer de souffrance que son corps ne pouvait plus supporter.

– Alors, cet objet ?

Arsène n'écoutait plus. Il délirait. Piotr comprit que la fin était proche. Il devait profiter de ce moment pour faire parler l'homme mourant dont les yeux n'observaient que le vide.

– Chut, chut... Doucement...

Le tortionnaire expérimenté se pencha, approcha ses lèvres de son oreille et d'une voix si douce murmura :

– Je suis là. Tout va bien. N'aie pas peur.

Arsène sembla d'un coup plus paisible. Piotr lui caressa les cheveux, nettoyant au passage le front sali par la crasse et le sang. Il posa un baiser sur le sommet de son crâne. Des traces rouges restèrent sur ses lèvres. Il reprit d'une petite voix sereine et cristalline :

– Je suis là. Chut... Je suis là.

Dans un dernier souffle, l'homme agonisant répondit finalement à ces paroles de réconfort en marmonnant :

– Luiset ? C'est toi ?... ma Luiset... ma Luiset... ma...

Puis tout devint calme. Il ferma les yeux dans les bras de son bourreau, un sourire aux lèvres comme apaisé.

Piotr se releva, indifférent au corps qui s'affaissa tel un pantin dans les feuilles ensanglantées. Il sortit un mouchoir pour s'essuyer la bouche et replaça ses longs cheveux noirs sous son chapeau. Sa seule piste c'était ce prénom. Il revint vers ses deux acolytes et ordonna d'un ton sans réplique :

– Je vous donne une semaine pour retrouver cette Luiset !

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now