2. Norbert Collin (réécrit)

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– Arsène Madison a donc une fille... répéta Piotr Vallas.

Il jouait avec son porte-cigarette d'or. Il ne s'était même pas retourné vers son acolyte et observait la langue de terre engloutie par les ténèbres nocturnes à travers sa fenêtre. En fait, il réfléchissait. Piotr recracha une fumée bleutée après avoir écrasé sa cigarette et fit volte-face pour s'adresser à son sbire qui n'avait pas bougé :

– Qui l'eût cru ?

Son homme de main le regardait, attendant ses directives. Piotr avait la peau si pâle qu'il semblait irréel, proche d'une créature fantomatique ou vampirique. L'utilisation qu'il faisait de sa voix était particulière : on ne pouvait vraiment s'accorder à dire s'il était calme ou en colère. C'était la deuxième nuit qu'ils passaient dans ce refuge de campagne, tellement perdu qu'ils étaient les seuls clients. Piotr avait réservé une chambre pour lui seul et ses deux sbires occupaient une plus petite mansarde dans laquelle il pouvait se rendre par une porte communicante. La pièce était plutôt étroite mais les propriétaires prenaient soin de ne pas laisser traîner le moindre fil d'araignée argenté. En dépit de nombreux papiers qui s'étalaient de part et d'autre du bureau, l'ordre régnait et curieusement le lit n'était même pas défait. Piotr Vallas, aussi discret et léger qu'une plume portée par le vent, s'assit avec grâce sur la chaise et saisit plusieurs feuilles.

– Je n'imaginais pas ce bon Arsène s'encombrer d'une fille, encore moins d'une femme.

– Leur renommée n'est plus à faire dans le comté de Bulberry.

– Madison me surprend encore. Je savais ce vieux fou riche, le voilà père de famille maintenant.

Il fronça les sourcils tandis que son regard transperçait les écrits muets.

– Mais, quel est cet objet ?

Il avait repéré Arsène dans un rassemblement prestigieux de chercheurs internationaux. Dès lors, il l'avait suivi à chacun de ses déplacements, espérant lui damer le pion lors de ses futures recherches.  Piotr ne comprenait rien aux notes qu'il avait dérobées à l'intellectuel. Arsène avait noté toutes ses pensées, les avait raturées, avait entouré des mots et esquissé des dessins incompréhensibles. Seule certitude : il était à nouveau sur la piste d'un butin d'une très grande valeur. Des mots comme « la clé », « cité des merveilles », « abandonné » ou « diamant » revenaient plusieurs fois. Des symboles et points d'interrogations apparaissaient sur chaque bas de page. Piotr avait eu vent de ses activités de recherches : c'était un scientifique et chercheur apprécié, inventeur de quelques trésors de civilisations passées ; un homme reconnu par ses pairs, mais encore anonyme auprès des populations hors du Comté de Bulberry. Les trésors aidaient à comprendre l'histoire des ancêtres : objets du quotidien, monnaies, vêtements, armes ou meubles. C'était la passion d'Arsène. D'autres rumeurs intéressaient les plus cupides. On y parlait de pierres précieuses, d'or et d'argent. Et l'agitation du scientifique ces derniers mois attestait de l'importance de ce qu'il s'apprêtait à découvrir. Une phrase de la main du vieux Madison avait convaincu Piotr Vallas de saisir l'occasion : « Mettre l'objet en lieu sûr pour l'amener là-bas, c'est la clé ». Cet individu à l'âme noire fut dès lors persuadé de déchiffrer l'énigme. Il avait volé toutes ses notes après l'incendie provoqué chez les Conférenciers. Faire parler l'homme n'avait pas été une mince affaire. Désormais, Piotr ne songeait qu'à une seule chose : Luiset Madison.

– La réponse se trouve chez lui, annonça-t-il comme une évidence.

– L'enceinte du domaine des Madison est inviolable. Enfin presque.

– Nous n'allons pas rentrer comme des voleurs.

– Dites-nous.

– Laissez-moi réfléchir.


-⸙-


Le lendemain, Piotr Vallas observait au moyen d'une longue-vue la grande bâtisse des Madison. Il était monté à cheval jusqu'à la colline, seul point d'observation possible, et constatait lui-même la richesse et la grandeur des lieux. La propriété était délimitée par une ceinture d'arbres et de haies bordée par une muraille de pierre qui se dressait fièrement. L'unique accès se trouvait au grand portail surveillé par deux gardiens. L'immensité du parc, dégagé de tout arbre, permettait de voir les visiteurs qui s'engageaient sur l'allée de très loin. Ensuite, avant d'atteindre le manoir, il fallait passer une nouvelle enceinte végétale qui renfermait une fontaine et un jardin privé.

Piotr fut rejoint par ses hommes de main. L'un deux lui tendit un document alors que l'autre expliquait :

– Ils ne font pas laver leurs linges de lit sur place. Un ouvrier de la blanchisserie du comté vient toutes les semaines les récupérer.

Leur maître essuya une tache de sang pour mieux déchiffrer le parchemin. Il s'agissait du planning de levée du linge chez les propriétaires fortunés du Comté de Bulberry.

– Dans trois jours.

– Sommes-nous prêts ? osa demander celui qui s'était procuré le papier.

Piotr n'eut pas besoin de répliquer, le regard qu'il lança suffit à faire comprendre à son sbire de n'attendre aucune réponse. Mais il s'adressa à l'autre qui regardait le domaine avec sa propre longue-vue :

– Lorsque tu seras entré, commence tout de suite par son bureau, puis suis l'ordre des pièces quand tu réceptionnes le linge.

– Bien, maître.

– N'oublie surtout pas les courriers dans la chambre de la femme et de la fille.

– Ce sera fait. Je retourne à la blanchisserie, pour surveiller celui qui vient chez eux.

Piotr Vallas regarda à nouveau le document pour lire le nom de l'employé choisi pour se rendre chez les Madison :

– Tu as déjà vu ce Norbert Collin ?

– Oui, je vais avoir besoin d'un autre uniforme. Il est gros.

– Je m'en charge, déclara le second.

Les deux vautours, aussi sombres que leur maître, commençaient à redescendre quand Piotr s'adressa à celui qui allait se faire passer pour Norbert Collin pendant la récupération des linges :

– Si tu es démasqué, fais ce qu'il faut.

Luiset Madison (Trilogie)Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang