28. L'anniversaire 2/3 (réécrit)

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Frère Maynard et Luiset descendirent de l'abbaye pour s'aventurer sur les remparts de pierre. L'air était doux et Luiset ne se lassait pas de ce décor magnifique, de ce tourbillon d'odeurs et de couleurs : le miel des fleurs carmin des Hamamélis, le sel de la mer bleue, le poisson des échoppes multicolores où chantaient les commerçants. Tous les villageois les saluaient sur leur passage.

– Je ne pensais pas qu'il y aurait autant de monde sur les remparts, dit-elle. Avec la grande réception de ce soir, j'imaginais que tous seraient en train de terminer les préparatifs à l'intérieur.

– Tout le monde ne travaille pas pour l'abbaye. Nous sommes nombreux sur le Mont, certains sont indépendants.

Luiset n'en revenait toujours pas des efforts qui avaient été déployés pour sa soirée d'anniversaire. Ce grand dévouement l'avait même empêché de demander l'annulation de l'événement. Au sommet, une chose que Luiset n'avait jamais vue fit son apparition :

– Mais, et là, qu'est-ce que c'est ?! demanda-t-elle entre effroi et surprise.

– C'est un ballon, mademoiselle Madison. On peut voyager dans les airs avec.

La toile rouge et noir se gonflait sous la flamme. Il s'élevait, retenu par une corde.

– C'est donc ça, un ballon ! On peut voler ?

– Normalement, oui. C'est un prototype, nous faisons encore des essais.

Quelqu'un tira sur la corde pour le déplacer et il disparut derrière les habitations. La marée haute entourait le Mont dans son intégralité, recouvrant presque le pont d'accès. Luiset se sentit coupée du monde et éprouva une grande satisfaction.

– Nous allons devoir construire un pont plus haut car parfois nous sommes complètement bloqués. L'année dernière, le pont n'était jamais recouvert, mais les dunes ont bougé.

Ils avancèrent encore jusqu'à un petit enclos végétalisé. Luiset contemplait au-dessus d'elle les maisonnées et l'abbaye. Elle songeait à la façon dont les hommes avaient pu construire tous ces bâtiments sur ce monticule de roche et de terre. Puis, elle imagina un instant dans quelle habitation se trouvait son père.

– Toutes nos plantes médicinales sont ici, expliqua-t-il.

Certains plants n'avaient pas encore poussés, mais le nom de chacun d'eux était écrit à la craie sur des ardoises.

– Ces plantes sont un don du ciel. Pas besoin de médecin pour l'instant. Nos connaissances en botanique suffisent à soigner les petits maux.

– Mais, avec des limites donc, lorsque c'est plus grave.

Elle repensa au docteur Nuegill, qui n'avait pas abandonné sa tante lorsque l'eau les avait pris au piège.

– Monsieur Nuegill aurait été d'une grande aide, affirma-t-elle avec conviction.

– Qui est-ce, mademoiselle Madison ?

– Tiam Nuegill... Le médecin que vous attendiez et qui voyageait avec nous.

– Bien sûr ! s'exclama-t-il après une absence.

Le soleil se cacha derrière le mur de l'auberge accolée au petit jardin. Ils quittèrent l'ombre pour se réchauffer. Luiset profita de ce moment d'intimité avec frère Maynard :

– J'ai le sentiment que cet endroit est très particulier.

– Vous avez raison, le Mont est spécial.

– Depuis quand vivez-vous ici ?

– Depuis toujours, je dirais.

– Est-ce qu'il vous a révélé tous ses secrets ?

– Il reste toujours une part de mystère au Mont.

– Que pouvez-vous me dire sur ce lieu ? Si vous deviez le décrire ?

– Oh, eh bien, c'est un lieu saint, construit à la seule force des hommes. Ils exigeaient un ailleurs prodigieux pour exercer leur foi. Chaque personne qui vient ici ne peut nier la présence divine. Mais, comme je vous le disais, le Mont a ses mystères et ses visages. Prenez par exemple cet Hamamélis, vous saviez qu'on l'appelait aussi « noisetier des sorcières » ?

– Non, je ne connaissais même pas le nom de cet arbre pour être franche.

– N'est-ce pas délicieusement étrange ? Ces noisetiers des sorcières qui parsèment ce lieu divin ? De nombreuses légendes remettent en cause la fonction du Mont.

– Je ne connais que très peu de choses d'ici. Mais plus je découvre cet endroit, plus je désire le connaître. Il m'envoûte. Mon père n'a pas choisi le Mont pour fêter mon entrée dans le monde adulte par hasard...

– Vous voyez juste...

– Avez-vous des traditions particulières pour les seizièmes anniversaires ?

Ils croisèrent Viola qui marchait d'un pas décidé vers le jardin qu'ils venaient de quitter. Elle ne semblait pas les avoir vus. Remarquant son sac en toile noué à la ceinture de sa robe, Luiset déclara :

– Au moins, Viola Spralt a réussi à rapporter les fleurs.

– Vous dites ?

– Je me disais que finalement la personne qui s'en sort le mieux dans cet horrible voyage, c'est elle... Vous savez, la vendeuse de fleurs ?

Il ne répondit rien mais resta songeur.

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now