8. Derrière la montagne 1/4 (réécrit)

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– ... Et lorsque nous nous sommes rendu compte que nous n'avions plus de vivres à bord. Quel effroi !

Anna Grimsey, revigorée par quelques verres, détaillait par le menu à Éric, le fils du cuisinier, et aux autres, leur mésaventure de la journée. Elle la racontait comme si elle-même, sur le moment, avait trouvé la situation cocasse.

– Cela vaut bien la peine d'avoir autant de confort. Des banquettes et de la place, il y en a ! Mais au détriment de rangements essentiels ! continua-t-elle avant de reprendre une gorgée de vin rouge. 

Heureux d'être bien au chaud entre quatre murs et l'estomac plein, ils étaient euphoriques et riaient de ses jérémiades. Le Haut-Refuge était un grand chalet qui pouvait accueillir une vingtaine de voyageurs. Ses chambres confortables commençaient déjà à les appeler. Le grand salon couvrait presque toute la surface du rez-de-chaussée. Deux trophées de chasse trônaient au-dessus de l'imposante cheminée qui crépitait. Des odeurs de cuisine et de cigares emplissaient la pièce. Ils avaient fait connaissance avec quatre autres voyageurs, venant de la direction opposée, et qui ne seraient pas bloqués trop longtemps puisque des hommes étaient partis pour scier et enlever le sapin qui était tombé.

– Vous pourrez partir dans deux nuits, avait annoncé le directeur du refuge.

– Eh bien, puisqu'il le faut... Resservez-moi un whisky ! avait déclaré leur cocher.

Luiset s'était retirée dans sa mansarde pour raconter le début du voyage à sa mère. Elle fouilla dans son nécessaire à lettres et prit une plume rouge bientôt plongée dans l'encre sombre.

– N'inquiétez pas votre mère avec cet arbre de malheur ! avait conseillé sa tante.

Mais loin d'être traumatisée, Luiset n'avait même pas songé à lui en faire part. En tout cas, pas dans des termes trop sérieux ; elle l'aurait plutôt précisé au passage, comme un simple et raisonnable contretemps. Après tout, n'était-ce pas cela de vivre des aventures ? À la douce lueur d'une bougie, elle relut la lettre rassurante que Catherine attendait.

« Mère,

Nous sommes arrivées au Haut-Refuge pour notre deuxième nuit. Vous auriez aimé ces étendues de sapins, après la forêt de hêtres aux branches de givre. La diligence possède un poêle, ce qui rend la traversée de la montagne bien plus confortable, et la cape de mon père est presque de trop parfois (mon dieu, comme j'ai hâte de le retrouver !). D'ailleurs, le saviez-vous que nous pouvions nous chauffer à bord des diligences ?

Trois voyageurs partageront notre voiture jusqu'au Mont. Tiam Nuegill et Meadow Lance s'entendent très bien puisqu'ils sont tous les deux issus du monde de la médecine, et Viola Spralt est vendeuse de fleurs et apporte une touche d'exotisme. Ils sont d'agréable compagnie et nous sommes donc rassurées de partager la route avec eux. Nous sommes également très satisfaites des services de l'apprenti de la Forge, Garrett Jame, avec qui j'ai de longues discussions.

Na semble très bien s'accommoder du voyage. Je crois même qu'elle apprécie beaucoup le médecin : elle ne lui trouve rien à redire, pour l'instant. Pensions-nous que ce fut possible ? Ne lui dites pas ce que je viens d'écrire, elle m'en voudrait.

J'espère que vous ne vous languissez pas trop de nous au domaine.

Vous me manquez,

Luiset Madison »

Quand Anna Grimsey regagna la chambre, la bougie mourante éclairait à peine le lit où dormait sa nièce dont la joue était encrée par endroits. Également épuisée, elle souffla la faible flamme sans même ranger le bureau désordonné. Elle ne tarda pas à s'endormir malgré les hommes qui riaient fort en bas.

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant