9. Le plan (réécrit)

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Frère Derrien ne voyait que l'ombre de son agresseur. Impossible de discerner son visage. Sa vue était entravée par un filet de sang et le soleil furieux menaçait de brûler sa rétine. La silhouette fine et longue s'approchait sans hâte, imperturbable malgré la marée montante qui les encerclerait bientôt sur cette langue de sable. Loin du rivage et des hommes, leurs voix étaient avalées par les vagues. Frère Derrien recula vers la mer, conscient d'être pris au piège et se mit à genoux. Sa jambe frôla le disque que son bourreau avait lancé sur son front. Un lancer précis, net, contrôlé.

– Mon Frère.

Il s'accroupit devant le moine, ramassa son arme volante, se redressa et contourna l'homme à la bure ensablée. Frère Derrien le suivait d'un œil et put enfin voir nettement les traits de ce monstre qui l'avait poursuivi à cheval alors qu'il revenait de sa promenade quotidienne dans la baie. Il avait surgi d'un coup, en silence. Le moine s'attendait à une gueule de mercenaire mais son agresseur avait des traits fins, de longs cheveux noirs noués en catogan, une démarche animale et une voix douce. Il n'arrivait pas vraiment à lui donner un âge. Par contre il avait compris que son regard assassin ne lui laissait aucun espoir. Piotr continuait de tourner autour de lui.

– Deuxième et dernière chance... Arsène Madison ?

– Je... vous l'ai dit, je ne... comprends pas, parvint-il à dire tentant vainement de reprendre son souffle.

Piotr n'arrivait toujours pas à éclaircir le mystère des notes du chercheur et sa colère ne faisait que grandir. Deux disques vinrent lacérer le dos du religieux, déchirant la bure qui s'imprégna de son sang. Le cri se perdit vers la mer.

– Arsène Madison, répéta Piotr aussi calme que la brise qui portait la plume d'une mouette.

Le pauvre homme se redressa, haletant de douleur, mais il ne fit que le défier du regard pour lui faire comprendre qu'il mourrait insoumis. Le disque qui lui coupa le ventre fut la seule réplique de l'homme en noir. Frère Derrien, souffle coupé par la douleur, se trouva projeté sur le dos. Il admira le ciel bleu, vision bientôt perturbée par le visage à contre-jour de Piotr Vallas.

– Alors ?

– Vous... êtes... le... diable...

– Non, chuchota-t-il à son oreille, moi, j'existe.


-⸙-

Le temps passait et Piotr n'avait toujours pas réussi à faire la lumière sur ce qui reliait Arsène au Mont.

Il nettoyait ses disques dans la salle d'armurerie de sa vaste demeure. Il possédait une collection dont chaque pièce avait été modifiée pour devenir une arme redoutable. L'assassin aguerri savait en faire bon usage et son agilité deviendrait légendaire. Le plus grand d'entre eux ressemblait à un bouclier massif et était essentiellement décoratif. Les autres étaient accrochés sur un pan de mur où il avait ajouté deux volets de bois sculpté pour les mettre sous clef. Le plus grand faisait la taille d'une assiette et le plus petit tenait dans la paume d'une main adulte. Certains étaient en pierre d'autres en métal ; en or pour le plus précieux. De l'autre côté de la pièce, un mur aménagé portait les stigmates de longues et fastidieuses séances d'entraînements. Piotr manipulait délicatement un disque en fer pour affûter contre une pierre tournante ses bords déjà tranchants. Ses sbires entrèrent. L'un d'eux posa un document plié près de son maître qui demanda sans interrompre sa tâche :

– Dites-moi que nous passons aux choses sérieuses.

– Nous avons trouvé ce qu'il faut.

Les traits de l'homme sanguinaire semblèrent se détendre. Ses hommes de mains quittèrent la salle d'armurerie. Piotr se leva, raccrocha le disque au mur, l'essuya avec son mouchoir, referma les deux volets de bois et tourna la clef dans la serrure de fer. Il se rassit, sortit son éternel porte-cigarette, alluma le bout et prit une première bouffée. De l'autre main, il déplia le document. Son visage se fendit d'un sourire.

– Nous allons nous occuper de cette gamine.

Un rire glacial s'éleva dans la salle. Il regardait la carte où figuraient des tracés de parcours de diligence. La carte portait le tampon de la Forge.    

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now