3. Au nom du père 2/2 (réécrit)

812 113 65
                                    







Quelques jours plus tard, Luiset Madison, assise sur son lit, regardait Élise et deux autres domestiques s'affairer dans sa chambre pour remplir les valises et malles. Lorsqu'elles avaient commencé, la jeune Madison était sur tous les fronts, à vérifier chacun des contenants, à donner des ordres et à choisir le moindre effet qu'elle emporterait. Elle faisait des suppositions sur le voyage, avait relu encore et encore la lettre mystérieuse de son père. Le papier habillé d'une écriture rapide était abîmé et les dernières lignes lui semblaient toujours aussi intrigantes :


« ... c'est très important pour moi que vous soyez au Mont avant le jour de votre anniversaire. L'entrée dans votre seizième année, qui marque vos débuts dans le monde des adultes, doit se faire en grande cérémonie. Je sais déjà que le voyage vous plaira, mais ce qui nous attend au Mont sera encore plus merveilleux. Mon absence auprès de vous et votre mère me pèse mais elle fut nécessaire. Je vous promets que tout sera réglé dès que nous nous reverrons, et les Madison pourront prendre un nouveau départ. Je joins à cette lettre toutes les recommandations nécessaires à la préparation de votre voyage. Embrassez votre mère pour moi. Très affectueusement, ma Luiset.

Votre père, Arsène Madison »


Chaque fois, son cœur et son esprit s'emballaient. Ses pensées lui semblaient aussi vives et bruyantes que des chevaux lancés à vive allure dans les ressacs d'écumes de la mer. L'amertume qu'elle ressentait pour son père ces dernières années s'était apaisée depuis qu'elle avait décacheté cette lettre. Avant sa cape, c'était devenu un lien fort avec  lui. Le dernier objet qu'il lui avait offert. Lorsqu'elle avait cru l'avoir perdue, persuadée de chercher au bon endroit, toute la maisonnée avait entendu ses larmes. Les domestiques, Anna et sa mère l'avaient aidée et Élise sauva la situation : elle eut la simple idée de regarder sous le lit.

– Mais, et vous, mère ? Pourquoi n'êtes-vous pas du voyage ? avait tout de même demandé Luiset.

– Ne t'inquiète pas, ton père m'écrit aussi. Je ne peux pas laisser le domaine pour l'instant mais ma patience sera récompensée. 

Luiset replia la lettre et l'enferma dans son enveloppe. Cette fois, elle la déposa dans un coffret qu'elle emportait avec elle. Ainsi, elle pourrait poursuivre sa correspondance grâce au papier à lettres, aux plumes et aux bouteilles d'encre.

– Bon, Élise, que reste-t-il ? demanda-t-elle en posant ses poings sur ses hanches avec un air sérieux.

– Rien, tout est là, mademoiselle. J'ai noté ce que contient chacun d'eux sur cette liste.

– C'est parfait !

Luiset décida de lire à haute voix chaque élément qui figurait sur l'inventaire :

– Alors, dans la grande malle noire, dit-elle en pointant son index dans sa direction, nous avons (elle compta) sept robes dont la robe bleue pour notre halte à Villejoie, les bas, les corsets et souliers qui vont avec. Je garde ma cape sur moi. Avec également : le coffret à bijoux et maquillage, les mouchoirs et peignes à cheveux. Avez-vous pensé à mon parfum ?

– Oui, mademoiselle. Vous avez deux flacons dans le dernier tiroir du coffre à maquillage.

– Excellent. Bien, de l'autre côté, la malle en osier contient la vaisselle...

– Nous n'avons rien à envier à la Forge, coupa une voix douce.

Catherine Madison était entrée dans la grande chambre, évitant les malles, valises et autres caisses de voyage, disséminées de part et d'autre d'une chambre qui gardait quelques traces d'une prime enfance.

– Tout est prêt,  ma Luiset ? demanda-t-elle.

– Je procède aux dernières vérifications.

– Vous êtes sûre que les autres voyageurs auront de la place à bord de la diligence ?

– Bien sûr, monsieur Totter me l'a affirmé !

– Le progrès arrive si vite, déclara Catherine.

– Donc, comme je disais, la vaisselle... commença Luiset en reprenant la lecture de sa feuille.

– Ma Luiset, venez donc me voir.

– Mère, je voulais terminer...

– Ce sera très rapide. Asseyez-vous un instant. J'aimerais que vous me teniez au courant de votre trajet. Vous n'avez pas oublié votre nécessaire à lettres ?

– Non, bien sûr ! Je vous tiendrai informée. Et Na aussi, j'en suis certaine, affirma-t-elle sur un ton sarcastique.

– Ma Luiset, soyez aimable avec Na, hein ? Pas d'insolence, prenez sur vous. Je sais qu'à votre âge, je n'étais pas toujours en bons termes avec l'autorité.

– N'est-ce pas ce qui a conquis le cœur de Père ? demanda-t-elle avec malice.

– Vous changez de sujet, ma Luiset.

– Mais oui, promis. J'aurai tellement à m'occuper, vous savez ! Les paysages et... oh ! Ma boîte à dessins ! Élise !

– Tout de suite, mademoiselle.

– Votre père va être tellement heureux de vous revoir, continua-t-elle pendant que Luiset surveillait d'un œil la domestique qui rangeait la mallette des crayons et pastels.

Puis elle tourna son regard vers sa mère :

– Oh oui ! J'espère qu'il me reconnaîtra !

– Vous êtes sotte, évidemment, dit-elle tendrement. Mais vous lui direz de ma part que je l'attends et ne souffrirai pas d'être à nouveau abandonnée.

– Ne vous en faites pas, il fait la promesse que ça va changer.

Luiset reprit son inventaire, plus animée que jamais, si bien qu'à force de grands gestes et consciente de l'amusement qu'elle provoquait chez Élise, elle ne remarqua pas la larme que sa mère venait d'essuyer.

Luiset Madison (Trilogie)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant