15. Le conte des trois logeuses 1/2 (réécrit)

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– Mademoiselle Madison, auriez-vous la gentillesse de nous divertir avec une nouvelle histoire ? demanda la duchesse. Je m'ennuie, c'est terrible !

– Oh oui ! ajouta Antoine.

Les années précédentes, lorsque les passagers partaient en voyage, ils roulaient souvent en famille, dans des voitures hippomobiles plus petites que les nouvelles diligences ; et sur les longues distances, ils s'arrêtaient quelques jours chez un parent, un ami ou dans une auberge. Parcourir cette distance dans ce contexte, sans pause longue et en compagnie de gens qu'ils connaissaient à peine était quelque chose de nouveau. Les employés de la Forge notaient qu'il y avait toujours un moment de creux et depuis plusieurs heures, une lassitude se faisait ressentir. Le temps maussade qu'ils devinaient au-dessus des cimes tristes n'encourageait personne. Luiset fut heureuse d'être considérée par la duchesse comme la sauveuse potentielle de cette langueur.

– Bien sûr. Voyons... Quel genre ?

– Qu'importe. Assez longue pour que nous passions le pont de Brenn sans s'en rendre compte ! implora Chiévée.

Luiset n'eût pas à réfléchir trop longtemps. Elle se cala confortablement sur sa banquette, imitée par ses autres compagnons de voyages. Viola et Anna avaient remonté leur couverture pour contrer le froid qui s'engouffrait sous les robes.

Un peu intimidée par le regard de son public attentif, Luiset Madison se concentra pour raconter au mieux son histoire préférée. Celle qu'elle avait tant réclamée à son père à l'heure du coucher, au grand dam de sa mère et de sa tante qui trouvaient que ce n'était pas le conte approprié pour endormir une petite fille.

Luiset replaça une longue mèche blonde dans ses cheveux et, alors que seuls les bruits des sabots et du vent brisaient le silence, sa voix emplit la voiture :

– Dans un pays lointain vivait Thom, un jeune homme, avec ses parents, ses frères et sa sœur. Il prenait son rôle d'aîné très au sérieux et c'est grâce à ses talents de pêcheur que la famille parvenait à se nourrir depuis l'accident de son père...

–  Ça commence bien... ironisa Garrett.

– Chut ! lança-t-elle, laissez-moi raconter.

L'apprenti lui fit un signe d'excuse et l'enjoignit à poursuivre.

– Donc la famille de Thom ne pouvait compter que sur lui : son père ne pouvait plus travailler et ses autres frères n'avaient pas encore huit ans. Parce qu'il était patient, calme et silencieux, il revenait toujours avec un panier foisonnant de poissons. Sa mère l'accueillait en joie, sa sœur lui tirait une chaise pour qu'il s'assoit et se lave les mains. C'est à gauche qu'il préférait qu'elle mette la bassine : « À gauche, toujours à gauche, petite sœur », répétait-il avant de lui courir après pour l'attraper. Elle riait aux éclats.

Luiset se pencha en approchant sa main pour chatouiller le jeune Antoine au menton. Il s'esclaffa puis demanda :

– Ensuite ? Ensuite ?

– Les jours passaient sans que le mal qui rongeait leur père ne faiblisse. La saison hivernale approchait, inexorablement, et, avec elle, la migration des poissons vers des eaux plus chaudes. Les deux parents firent de leur mieux pour ne pas inquiéter leurs enfants, mais Thom comprit qu'ils ne passeraient pas l'hiver si une solution n'était pas vite trouvée. Il se mit alors en quête d'une autre activité. La pauvreté du village l'obligea à chercher plus loin et lors d'une excursion, il entendit parler d'un vieux sorcier qui avait le pouvoir de guérir tous les maux. Il se trouvait dans le désert, à plusieurs jours de marche. Si Thom n'avait pas été aussi désespéré, il n'aurait sûrement pas considéré cette information qu'un étrange marcheur lui confiait.

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now