13. Le relais de chasse 1/4 (réécrit)

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Des lambeaux brumeux s'accrochaient dans les herbes hautes des vergers qui bordaient Villejoie.

Les perles de la rosée du matin étincelaient sous les premiers rayons. Luiset profita du sol plat pour immortaliser les couleurs spectrales de ce paysage envoûtant. Antoine la regardait esquisser aux pastels les lignes des arbres capturés dans ces langues nébuleuses qu'un soleil d'ambre essayait de traverser. De la brume s'échappait aussi des lèvres des voyageurs qui, faute de blocs à braiser, avaient ressorti des couvertures.

– Notez-le dans votre rapport, monsieur Jame, répéta Anna Grimsey.

Heureusement, le beau temps de la matinée réchauffa la diligence et une agréable douceur envahit la voiture. Certains passagers repoussèrent leur manteau mais Tiam se permit de les mettre en garde : 

– Attention, il fera plus frais lorsque nous entrerons dans la forêt.

Luiset avait rangé sa feuille à dessin et tentait d'expliquer les règles d'un jeu de dés au fils de la duchesse. Elle invita l'apprenti à se joindre à eux pour une partie. Sa tante faisait semblant de s'intéresser à l'article que lisait Tiam, détaillant de nouvelles procédures d'amputation d'un membre gangrené. Si le sujet n'avait pas été aussi sérieux, elle aurait sûrement montré sa joie d'être son unique camarade de conversation. Elle le dévorait des yeux et n'écoutait d'ailleurs aucune de ses explications. Luiset la regardait en coin, et s'amusait de la voir ainsi. Elle vint à penser que, finalement, Anna n'allait réellement pas revenir seule de ce voyage. Le médecin semblait l'apprécier. En tout cas, malgré l'inattention évidente de sa tante, il ne laissa rien paraître et, de sa voix douce, prenait le temps de lui expliquer avec politesse et patience les détails de son article scientifique. 

– C'est à ton tour ! dit Antoine à la jeune femme qui revint à la réalité.

Meadow et Chiévée, quant à elles, écoutaient les conseils de Viola qui s'empressait de leur prodiguer les meilleures astuces pour obtenir de beaux rosiers. La conversation avait débuté parce que, pour une fois, la vendeuse de fleurs avait été raisonnable dans le dosage de son parfum, et la duchesse avait reconnu la fragrance d'un rosier cent-feuilles. Les exhalaisons douces et sucrées dessinèrent, dans l'esprit de Chiévée, un buisson de roses inclinées aux multiples pétales clairs.

Comme pour prévenir les occupants, les chevaux hennirent à l'orée du grand bois. Mais la diligence ne s'engouffra pas tout de suite car Meadow Lance ne se sentait pas bien et demanda à Garrett Jame de bien vouloir s'arrêter.

– Le comble pour une infirmière... avait marmonné Malty à Lieu qui se gaussait. 

Tiam accompagna la pauvre femme qui n'eut d'autre choix que d'expulser son petit-déjeuner. Il s'avéra qu'il s'agissait d'une mauvaise digestion du lait de chèvre cru qu'elle avait bu quelques heures plus tôt. Elle se sentit déjà bien mieux en remontant à bord de la voiture. Anna lui tendit une tasse de thé pour qu'elle puisse se rincer la gorge, puis le fouet du cocher marqua la reprise du voyage.

– Nous y voilà ! cria Malty en regardant les arbres nus dont chaque silhouette dessinait un entrelacs de branches fauves.

– C'est parti pour deux jours de traversée, expliqua l'apprenti en notant l'horaire sur la feuille de route de la Forge.

Les jeunes avaient remisé le plateau de dés sur une des banquettes et Luiset Madison resserra un peu plus le col de sa cape et effleura un instant la feuille de hêtre entre ses doigts. L'ombre enveloppa l'habitacle dès qu'ils pénétrèrent dans le bois.   

– Direction : le relais de chasse.

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now