1. La Forge 1/2 (réécrit)

1.8K 179 188
                                    






Anna Grimsey tentait de rattraper la jeune femme qui tournait à l'angle de la rue.

– Mademoiselle Luiset ! Mademoiselle Luiset !

Elle évita plusieurs passants. Le vent capricieux risquait de faire céder l'épingle en nacre qui retenait son chapeau. Alors elle le retenait d'une main.

– Pas la peine de crier si fort, Na ! répondit Luiset Madison.

Elle avait mis sa main autour de sa bouche pour être certaine d'être entendue malgré les bourrasques. Les courants d'air facétieux filaient dans le dédale formé par les allées tortueuses. Mais en réalité, le temps était bien plus clément ces derniers jours.

– Dès que nous sommes en ville, vous marchez vite exprès !

– Balivernes, Na ! J'avance comme toutes les filles de mon âge.

– Dois-je vous rappeler que toutes les filles de quinze ans n'ont pas la chance de venir en ville toutes les semaines ! Ni la chance d'avoir une tante aussi dévouée, d'ailleurs !

Anna commença à pincer chaleureusement la joue de sa nièce mais Luiset recula de quelques pas.

– Ah non ! Je déteste ça !

– Oh, voyez la petite mijaurée, déclara-t-elle, amusée.

– Je ne suis plus une petite fille, Na !

– Quinze ans, ce n'est quand même pas bien grand. Il n'est pas si loin le temps où vous chantiez Luiset-rime-avec-bannette...

– Ah, c'est ici ! coupa Luiset.

Elle suivit sa nièce d'un pas affirmé en défiant les flaques. Comme par magie, le souffle du vent s'était apaisé. Un grand portique en pierre se trouvait au bout de l'allée. En passant sous la voûte, Anna glissa sur un pavé et la pauvre femme éclaboussa sa robe.

– Oh, si les Grimsey nous voyaient ! J'aurais dû mettre les bonnes chaussures !

La jeune Luiset ne réagit pas : elle était habituée depuis longtemps au caractère de tante Na et à ces petits incidents qui témoignaient d'une maladresse chronique.

– Bon, finissons-en ! Mes pieds me font mal et j'aimerais que nous soyons rentrées avant la nuit.

Elles s'approchèrent d'un vieux bâtiment où l'écriteau indiquait : « La Forge ». En dépit de son appellation, la plupart des habitants du comté savait qu'il s'agissait d'une compagnie de transport. L'ancienne forge avait été réaménagée et l'énorme édifice en imposait, surtout par sa hauteur. Les deux femmes passèrent à proximité d'une diligence exposée et Luiset se servit du heurtoir en fonte pour s'annoncer. Un gars bien bâti, à la peau pâle et aux cheveux courts, leur ouvrit la porte. Il les gratifia d'un chaleureux sourire en guise d'accueil. Tout à leurs soins, il les débarrassait de leurs manteaux lorsqu'un homme se fit entendre dans la pièce d'à côté :

– Garrett ! On a frappé ? demanda-t-il d'une voix rocailleuse.

– Oui, Monsieur Totter. Votre rendez-vous de quinze heures.

Sa démarche résonna sur le parquet et révéla la présence d'une canne pour aider ses jambes à supporter son corps vieillissant. Le jeune apprenti invita les deux clientes à entrer dans la grande salle. Le directeur s'était levé d'un long bureau ovale, perdu au centre de la pièce entre plusieurs modèles de diligences et autres articles propres au voyage, pour les rejoindre.

– Mesdemoiselles, Éricus Totter, pour vous servir. Bienvenue à la Forge, première compagnie de diligences du pays.

– Monsieur Totter, mon père a dû vous avertir de ma venue, n'est-ce pas ?

Luiset Madison (Trilogie)حيث تعيش القصص. اكتشف الآن