20. Apora pleure et se relève 2/4 (réécrit)

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La diligence atteignit la ville d'Apora aux premières lueurs de l'aube. La police, alertée par les hôtes inquiets de l'absence des voyageurs de la Forge, accueillit le groupe. Lorsque les agents eurent connaissance du drame, ils s'agitèrent comme un essaim d'abeilles, attirant l'attention des badauds qui s'étonnaient de ce rassemblement de mauvais augure. L'un des supérieurs se hâta de les mener en fiacre à l'hôtel de police.

– Nous devons agir vite. Ces hommes n'en sont pas à leurs premiers méfaits, nous les recherchons depuis plus d'un mois, avait-il dit.

Ils arrivèrent très rapidement dans le grand bâtiment gris. Le Haut Chef Tournecoin fut chargé de l'affaire. Avant de commencer l'interrogatoire, il leur proposa de quoi se restaurer et leur permis de se réchauffer.

– Nous envoyons tout de suite des hommes récupérer les corps de vos amis, avait-il dit d'une voix chargée de compassion.

Trois agents partirent sur le champ. D'après la description des malfrats, il s'agissait de bandits expérimentés qui sévissaient sur les différentes routes du monde. Leur procédé était identique et monsieur Tournecoin savait qu'ils ne resteraient pas plus de trois mois dans le même pays. Mais il était persuadé qu'il pourrait bien mettre un terme à leur réputation d'insaisissables.

Le Haut Chef Tournecoin leur expliqua que la procédure exigeait malheureusement de les interroger un par un.

– Je vais commencer par la jeune demoiselle. Vous voyagez seule ?

– Je l'accompagne, je suis sa tante, mademoiselle Grimsey, intervint Anna dans un mouvement protecteur.

– Très bien, mademoiselle, je vais commencer par vous deux. Vous pourrez partir, vous reposer ensuite, loin de tout ça. Pauvre petite !

Après avoir invité Anna à patienter, il partit avec Luiset. Elle suivit donc l'homme rassurant dans les couloirs de l'hôtel. Il l'emmena dans une petite pièce, surchargée de dossiers qui envahissaient deux étagères et même le bureau. Lorsqu'elle s'assit en face de lui, elle remarqua qu'il était plus âgé qu'elle ne l'avait pensé. En tout cas, le poids des affaires criminelles semblait peser sur ses larges épaules. Elles l'étouffaient un peu plus au fil des ans. Et cette pièce était l'incarnation de cette image.

– Désolé de vous recevoir dans de telles conditions, mademoiselle. Mais avec ces trombes d'eau la Salle des Enquêtes a été inondée dans la nuit et c'est la seule pièce où nous pouvons nous entretenir au calme.

En arrivant, la jeune femme avait bien remarqué des pompiers qui sortaient avec des seaux. Étrangement, elle ne fut pas gênée dans ce lieu moins formel. Au contraire, l'exiguïté de ce local d'archives était rassurante. Elle entendait la pluie s'écouler lentement dans les gouttières et elle put déposer son témoignage avec calme. Le Haut Chef s'avéra être doué pour la mettre à l'aise, patient entre deux sanglots. Luiset serait marquée à jamais par la tragédie de la nuit.

Au moment de signer, monsieur Tournecoin dut s'absenter :

– Excusez-moi, l'encrier est vide.

La jeune demoiselle patientait en observant les dossiers sur le bureau lorsqu'un détail attira toute son attention. Sur le premier document de la pile, elle put lire « Le Mont ». Surprise, elle se leva jusqu'à la porte pour vérifier que personne n'était dans les parages. Le Mont n'était pas encore tout près, et une affaire en cours à l'hôtel de police d'Apora signifiait que c'était grave.

Qu'importe les bonnes manières, Luiset reprit sa place et tendit le bras pour ouvrir le dossier. Si le Haut Chef revenait, elle aurait le temps de le refermer, l'air de rien. La seule difficulté, c'était qu'elle devait lire à l'envers. Ce n'était pas un souci en soi, car elle s'était entraînée avec son professeur de latin pour connaître ses appréciations à l'avance, mais elle mettait tout de même plus de temps.

Elle parvint à saisir l'essentiel : un moine du Mont avait été assassiné dans la baie. Il s'appelait Frère Derrien. Motif : inconnu. Cause du décès : hémorragie suite à des mutilations sur le corps. Il avait eu le temps de donner le prénom du meurtrier, il était inscrit sur le rapport en grosses lettres : PIOTR ? Le nom était plus incertain puisque seule l'initiale figurait derrière : V.

Le pas leste de Tournecoin résonna dans le couloir. Luiset eut juste le temps de voir le dessin d'illustration. Un homme lançait un disque sur un moine. L'arme lui rappelait les disques que l'on trouvait sur certaines statues de l'Antiquité ou sur les illustrations de son livre de la Grèce Antique. Elle referma le dossier d'un coup sec au moment où la porte s'ouvrait. Il lui sourit, posa l'encrier sur son bureau et lui tendit une plume noire. 

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now