11. Au bord de la rivière 5/5 (réécrit)

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Viola Spralt, dans une robe rouge et fardée à outrance leur faisait signe de la main. Elle était étrangement seule, malgré le regard des hommes posés sur elle.

– Faisons une partie de cartes, nous sommes expertes maintenant !

Luiset fut écœurée par son parfum de roses.

– Elle prend son bain dedans ? chuchota-t-elle à l'oreille de sa tante.

– Ah ah ! Mademoiselle Luiset ! répondit-elle en faisant signe d'être plus discrète alors qu'elle pouffait. 

La jeune femme remarqua qu'un balcon se trouvait dans le prolongement de la pièce et aperçut Garrett Jame qui fumait à l'extérieur. Un tout autre intérêt s'éveilla en elle.

– Je vais dehors, Na.

– Non, mademoiselle Luiset. Pas question de vous perdre de vue. C'est vous qui m'avez trainée ici.

– Jouez avec nous, mademoiselle Madison, chanta Viola.

– Merci madame Spralt, mais j'ai vraiment besoin de prendre l'air.

– Êtes-vous souffrante ? s'inquiéta Anna Grimsey.

– Non, j'ai juste un peu chaud, je ne risque rien à l'intérieur de l'hôtel. Il y a des employés partout. Regardez, il y a même monsieur Jame là-bas.

– Bon... Restez bien dans mon champ de vision alors.

L'apprenti sourit à Luiset qui le rejoignait en arrêtant de retenir sa respiration.

– Mademoiselle Madison.

– Oh, il n'y a pas d'adultes, appelez-moi Luiset.

– Euh... Je n'ai pas le droit, mademoiselle.

– Je ne dirai rien, Garrett. Je déteste toutes ces règles. Et vous ? N'avez-vous pas déjà désobéi aux règles ?

– Quelle question ! Puis-je savoir pourquoi vous me la posez ?

– Depuis que je vous ai vu le premier jour, et malgré votre conduite irréprochable, je vous trouve différent des autres.

Il ne put se retenir de sourire.

– Différent... Et, donc, je serais du genre à ne pas suivre les règles... tout en suivant les règles ?

– Vous n'êtes pas seulement l'apprenti sage que vous voulez paraître, je pense. Je ne dis pas que vous êtes hypocrite, ne vous méprenez pas ! Mais... c'est mon intuition.

– Bien, votre intuition est bonne.

Il laissa place à un silence qui raviva plus fort la curiosité de la jeune fille.

– Oh, allez Garrett, racontez-moi ! implora-t-elle en jouant avec une mèche de ses cheveux.

– Vous allez être déçue, je ne suis pas le révolutionnaire que vous pensez.

– Parleeez monsieur Jaaame !

Garrett vérifia si Malty ou Lieu n'étaient pas dans les parages. Il reprit, d'une voix plus basse qui obligea Luiset à se rapprocher :

– Des fois, lorsque monsieur Totter quitte la Forge assez tôt, je travaille sur les diligences. J'ai toujours aimé inventer des outils pour améliorer les objets.

– Un inventeur ! Oh ! Que faites-vous sur les diligences ? Précisément.

– Et bien sur notre diligence, par exemple, j'ai inséré un levier sous la voiture. Il est relié au siège du cocher. Si je l'actionne, il permet d'aller plus vite. De permettre aux chevaux de n'avoir presque aucune impression de portée. Mais je dois trouver une solution, car les roues s'abîment et les secousses sont effroyables pour les passagers.

– Vous voulez dire que ça marche ?

– Théoriquement.

– Théoriquement ?

– Oui. Je ne l'ai pas testé sur ce modèle, mais je suis certain que ça marche.

Elle le regardait avec émerveillement et fut intriguée de le voir rougir. Mais Luiset ne lui fit pas remarquer et demanda :

– À quel point plus vite ?

– Peut-être trois fois plus vite.

– Si je vous comprends bien, cela viendrait à faire passer le voyage à seulement quatre jours ?

– Plutôt cinq en tenant compte du passage de la montagne.

– Stupéfiant ! Qu'attendez-vous ? Et monsieur Totter ? Est-ce qu'il sait que vous travaillez là-dessus ?

– Non, non, pas du tout. Il ne se rend compte de rien. Déjà, il n'est jamais amené à aller regarder sous les diligences. Et je n'oserai pas lui dire. Pas tant que je suis absolument certain de la sécurité des améliorations. En plus, je touche à des modèles très coûteux. Mais après, oui, j'aimerais bien travaillé à la conception des diligences. Ne dites rien surtout !

– Je serai une tombe !

Les deux jeunes gens continuèrent de parler jusqu'à ce que la partie de cartes de Viola et Anna se termine. Des conversations de la jeunesse refaisant le monde, riant des absurdités des adultes. Puis la jeune fille réussit à le convaincre de la laisser prendre une bouffée de cigarette. Une quinte de toux s'ensuivit.

– Ne dites rien à ma tante ! dit-elle les larmes aux yeux.

– Cette fois, nous allons dormir, mademoiselle Luiset. Je crains avoir plumé notre amie ! dit-elle en fourrant ses pièces de monnaie sous ses jupons.

Elles étaient toutes les deux satisfaites de cette deuxième partie de soirée. Elles se débarrassèrent de leurs vêtements pour revêtir leur tenue de nuit, en fredonnant une comptine pour enfant commencée en montant les marches.

–  ... dans un jardin d'enfants avec un pot de miel, chantonna-t-elle en frisant des aigus dissonants.

– Magnifique, Na.

– Bon... la note est un peu haute, c'est vrai...  Mieeel, répéta-t-elle en s'égosillant.

Soudain, une voix d'homme éclata dans le couloir :

– Eh, le rossignol ! Vous avez vu l'heure ?!

– Oh, mademoiselle Luiset, vous avez mal fermé la porte, chuchota-t-elle.

Anna s'en chargea et se permit de lancer un « goujat » qu'il ne risquait plus d'entendre.

–  Na, je n'ai pas l'énergie pour écrire à Mère ce soir, je le ferai demain.

– Ne vous inquiétez pas, mademoiselle Luiset, je vais rédiger une lettre. Allez dormir.

Anna Grimsey s'assit au petit secrétaire et sortit une plume pendant que Luiset enfonçait sa tête dans l'oreiller moelleux.

Elle fut tirée de son sommeil une heure plus tard par sa tante qui revenait des cabinets d'aisance et marmonnait :

– Elle peut mettre une tonne de poudre, cette Viola Spralt ! À veiller si tard, ses cernes doivent descendre jusqu'au menton !

Luiset Madison (Trilogie)Where stories live. Discover now